La récente décision de l’administration du président américain Joe Biden de révoquer l’éligibilité de l’Éthiopie à la Loi sur la croissance et les perspectives économiques de l’Afrique (AGOA) a relancé le débat sur l’efficacité de l’imposition de sanctions économiques aux pays pauvres. L’administration a cité au motif de cette décision des « violations flagrantes des droits de l’homme internationalement reconnus » dans le conflit au Nord de l’Éthiopie. Mais il n’est pas certain que l’exclusion de l’Éthiopie de ce programme mette fin aux violations, surtout compte tenu de l’implication de multiples acteurs étatiques et non étatiques dans le conflit.
En général, rien dans la documentation ne soutient l’idée consistant à utiliser des sanctions économiques internationales dans le but d’influencer le comportement politique des gouvernements. Les explications existantes sont tirées du modèle Heckscher-Ohlin du commerce international, selon lesquelles un pays bénéficie de l’exportation de marchandises produites avec ses ressources les plus abondantes et de l’importation de marchandises qui utilisent des ressources qui sont rares. Si des sanctions sont imposées et que les échanges commerciaux sont limités, l’équilibre de l’offre et de la demande du pays sera perturbé et le bien-être général déclinera – ce que les dirigeants politiques souhaitent éviter.
Mais le modèle suppose qu’il n’y a que deux partenaires commerciaux. Dans le monde réel, les chaînes de production et de valeur sont très complexes et les marchés sont diversifiés. Les sanctions unilatérales peuvent imposer des difficultés importantes alors que les modèles commerciaux s’adaptent à la nouvelle réalité, mais ce sont des coûts à court terme, en particulier à un moment où les grandes puissances se bousculent pour exercer leur influence. Par exemple, après la décision des États-Unis de retirer les pays de l’AGOA, la Chine a annoncé son intention de « d’abolir les droits de douane sur certains produits » et d’importer pour 300 milliards de dollars de produits africains au cours des trois prochaines années.
La décision d’expulser un pays de l’AGOA pourrait encore exercer des pressions sur son gouvernement de trois manières : lui refuser des recettes fiscales, limiter son accès aux devises et encourager les investisseurs et les groupes d’intérêt à faire pression en faveur d’un changement de politique. Mais aucun de ces leviers n’a de chances de fonctionner en Éthiopie.
Pour stimuler la croissance du secteur ultra-compétitif de l’industrie légère de l’économie mondiale, l’Éthiopie a adopté un environnement à faible imposition pour la production d’habillement et de maroquinerie. Elle a développé des parcs industriels permettant aux entreprises étrangères de commencer la production avec un minimum de dépenses initiales et offrant une réduction de la fiscalité pour promouvoir les investissements à long terme. Durant les premières étapes du cycle d’investissement, les avantages les plus immédiats sont la création d’emplois et les gains en devises étrangères, et non les recettes fiscales.
L’Éthiopie va perdre des devises en raison de la décision de l’administration Biden. Mais cette perte risque d’affecter l’offre et les prix des biens de consommation importés plutôt que tout produit ou service susceptible de contribuer à des « violations flagrantes des droits de l’homme ».
Plus important encore, l’expulsion de l’Éthiopie de l’AGOA limite non seulement la probabilité que les investisseurs exercent des pressions sur le gouvernement pour qu’il modifie son comportement, mais limite également la croissance d’un secteur privé qui pourrait avoir un intérêt direct à agir en ce sens à l’avenir. De nombreux investisseurs étrangers éthiopiens ont cherché à tirer parti des privilèges de l’AGOA pour produire des marchandises destinées au marché américain. À cause du coup de frein porté à cet accès préférentiel, ces entreprises ont peu de raisons de rester dans le pays.
Les entreprises américaines qui ont investi ou qui ont envisagé d’investir en Éthiopie auraient pu faire la médiation entre les gouvernements américain et éthiopien. Mais leurs intérêts en Éthiopie ne sont pas assez significatifs pour dépenser beaucoup de capital politique dans le lobbying. Dans le passé, le gouvernement américain a encouragé ses industries du textile et de l’habillement à investir en Éthiopie. Maintenant que la suspension expose ces entreprises à des coûts imprévus liés à la délocalisation de la production, il est peu probable qu’elles augmenteront leurs investissements dans le pays.
Pire encore, des incertitudes de ce genre vont conduire de nombreux investisseurs américains à se montrer prudents quant à leurs investissements dans d’autres pays africains. Alors que l’Éthiopie risque d’être perdante suite aux dernières sanctions en date, les pertes potentielles s’étendent au-delà de ses frontières.
Le poids des sanctions sera supporté par les travailleurs peu qualifiés et peu organisés qui perdent leur emploi lorsque les entreprises étrangères qui ont bénéficié de l’AGOA vont quitter le pays. Ces travailleurs souffriront également de la perte globale des opportunités stratégiques de croissance industrielle qui auraient pu provenir de l’exportation vers le marché américain. En outre, les générations futures vont assumer le coût des infrastructures financées par la dette, qui ont rendu les sanctions moins productives.
Compte tenu des réalités de l’économie mondiale, les sanctions comparables à faire sortir l’Éthiopie de l’AGOA ne changeront pas le comportement des élites politiques. Au lieu de cela, ces sanctions vont saper le développement durable et les efforts de lutte contre la pauvreté et vont menacer les moyens de subsistance des plus vulnérables.
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