Dans ce premier roman d’émancipation, la documentariste et photographe s’attaque aux conventions sociales. Le prix, nouvellement créé par la présidence congolaise de l’Union africaine et doté de 30 000 dollars, lui sera remis au mois de février à Addis-Abeba, lors du prochain sommet des chefs d’Etat de l’Ua. Peu avant cette consécration, Ja rencontrait l’autrice.
C’est à la galerie Françoise Livinec, dans un quartier cossu de Paris, que l’on retrouve Osvalde Lewat. Réalisatrice de dizaines de documentaires et photographe, elle y expose Lumières africaines, extrait de la série Couleurs nuits, d’abord montrée dans les rues de Kinshasa en 2014. C’est par les arts visuels qu’elle commence à se raconter : «Je consacre du temps aux personnes que je filme et photographie, pour aller au-delà de la rencontre fortuite. L’idée est de décentrer le regard, de ramener la marge au centre ou de modifier l’idée qu’on se fait de la marge.»
Si elle a l’allure d’une Parisienne chic, il serait bien indélicat de figer l’autrice de 45 ans dans la capitale française. Membre du jury documentaire au Fespaco, elle revient de Ouagadougou et sera dans quelques jours en Afrique du Sud pour un tournage sur «les soldats qui ont rejoint la branche armée de l’Anc», un film qui «est aussi un documentaire sur Mandela chef de guerre». Dans la lignée de son premier court métrage, filmé à 23 ans auprès d’Amérindiens marginalisés de Toronto, le travail de réalisation de Osvalde Lewat a toujours été animé par des enjeux sociaux et le désir de «donner un coup de pied dans la fourmilière».
Homophobie familiale
Née à Garoua dans une famille bamiléké, Osvalde Lewat étudie le journalisme à Yaoundé avant d’intégrer Sciences Po Paris et de faire une étape au Canada. Elle tourne, entre autres, Au-delà de la Peine et Les Disparus de Douala au Cameroun, visite à plusieurs reprises, la Guinée Equatoriale et le Gabon, vit huit ans à Kinshasa, aux Comores, et aujourd’hui entre Paris et le Burkina, où son mari est un haut diplomate français. Des expériences qui nourrissent l’imaginaire du Zambuena, où évoluent les personnages de son premier roman Les Aquatiques. «Je voulais construire un pays avec des réalités communes : l’homophobie, le poids du groupe sur l’individu, les injonctions faites aux femmes, le bal des apparences.»
Avec une question en forme de fil rouge : à quel moment se hisse-t-on à hauteur de soi-même ? «Le personnage de Katmé m’a été inspiré par des femmes que j’ai vu mourir à elles-mêmes pour être conforme aux attentes.» Que va donc faire Katmé, épouse d’un notable ambitieux, quand son ami artiste, Sami, est emprisonné en raison de son orientation sexuelle ? «J’ai grandi dans un contexte homophobe où la condamnation familiale qui arrive avant celle de l’Etat signe votre mort.»
Aux critiques qui lui disent que Les Aquatiques est un «roman pour Blancs» qui épouse une vision occidentale de l’identité sexuelle, elle rétorque : «C’est de l’ignorance. Dans l’Afrique d’avant la colonisation, il y avait des rapports entre personnes de même sexe, encadrés par la communauté.» L’intrigue se tisse autour de cet opprobre qui frappe Sami et de sa relation amicale avec Katmé. «L’expression de l’amour ne passe pas forcément par les schémas de la famille et du couple. Des amitiés fortes m’ont construite et sauvée.»
Immobilisation forcée
Enfant modèle, Osvalde Lewat se décrit aujourd’hui comme «un ovni familial». A la vingtaine, alors qu’une place l’attend auprès d’un père chef d’entreprise, et d’un clan où «être se mesure à ce que l’on a», elle choisit les arts avant d’avoir construit une famille «traditionnelle» dans une société où «si vous n’êtes pas marié et sans enfants, vous êtes disqualifié». On entend, derrière l’attachement familial, les difficultés : «Quand on vient de monde où le poids du groupe pèse autant, dire “non”, c’est choisir un chemin de solitude.» Avant de glisser, pudiquement, en riant : «Aujourd’hui, ça va, je suis mariée.» La figure maternelle, «très littéraire», est pour elle source d’inspiration. Dans Les Aquatiques, les personnages féminins sont particulièrement travaillés avec Keuna, la galeriste mère-célibataire, et Sennke, la petite sœur religieuse.
«Il n’y a pas de bonne manière d’être, la seule qui compte c’est d’être soi. Comme pour mon accident, la vie parfois vous oblige à vous déterminer», affirme Osvalde Lewat. C’est ainsi que la primo-romancière introduit l’élément déclencheur de son passage à l’écriture : une cheville cassée et une immobilisation forcée d’un an. Encouragée par des amis, comme Atiq Rahimi, celle qui, petite, voulait être écrivaine (et psychothérapeute), et avait à l’adolescence rédigé «un mauvais roman», se lance à 39 ans. «J’étais acceptée comme documentariste, photographe.
Remettre cela en question, avoir quatorze refus d’éditeur, c’était difficile. Mais quand j’écris, je sais que c’est là où je dois être», confie-t-elle. Grande lectrice, elle confie son admiration pour Doris Lessing et «son ton affranchi et culotté» qui «a libéré mon écriture». « Les écrivains juifs américains ont aussi beaucoup compté, comme Saul Bellow. Et je reste impressionnée par la modernité de la langue de Chinua Achebe et Ahmadou Kourouma», poursuit-elle. C’est sur les terres ivoiriennes de ce dernier, grâce aux éditions Nimba, que Les Aquatiques sera disponible, en novembre, pour une diffusion en Afrique.
Jeune Afrique
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