Emmanuel Macron a annoncé cette semaine doubler l’aide financière accordée aux écoles chrétiennes d’Orient, qui passe à quatre millions d’euros en 2022. Une décision singulière pour la France, laïque depuis 1905, et qui s’explique, selon les experts, par la très probable candidature du président à sa réélection.
Un « engagement séculaire » et une « mission historique ». C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a qualifié, mardi 1er février, le doublement du soutien financier octroyé par l’État français et l’association catholique L’Œuvre d’Orient aux écoles chrétiennes d’Orient ou d’Asie de l’Ouest, le portant à quatre millions d’euros pour 2022.
Mais au-delà des liens historiques unissant la France aux communautés chrétiennes d’Orient et de la situation humanitaire précaire vécue par nombre d’entre elles, l’annonce peut se lire comme un appel du pied d’Emmanuel Macron à l’électorat de droite et d’extrême droite en vue de l’élection présidentielle.
Incursion sur les terres de la droite
« Le message d’Emmanuel Macron est conçu comme une contre-attaque face aux candidats de droite et d’extrême droite, décrypte ainsi Mihaela-Alexandra Tudor, maîtresse de conférence en sciences de la communication et média à l’université Paul-Valéry de Montpellier, contactée par France 24. Il cherche à nourrir son bilan face aux discours très forts portés par l’extrême droite sur la laïcité dans un contexte de risque d’attentats islamistes. »
« La question des chrétiens d’Orient est au cœur de mon engagement », a ainsi déclaré la candidate Les Républicains Valérie Pécresse à l’occasion d’un voyage en Arménie. « Je ne voudrais pas qu’on subisse le même sort que les chrétiens d’Orient », a pour sa part affirmé le président par intérim du Rassemblement national, Jordan Bardella, tandis qu’Éric Zemmour, qui s’est également rendu en Arménie, insistait sur la nécessité de défendre la civilisation occidentale en soulignant que le monde chrétien ne devait « jamais refuser de faire (la guerre) quand il est attaqué. »
Par cette annonce, le président vise tout particulièrement l’électorat d’Éric Zemmour, qui « puise beaucoup dans la frange catholique des votants », développe Mihaela-Alexandra Tudor. Les chrétiens d’Orient aidés par la France sont en effet en grande majorité des catholiques.
« La France finance essentiellement l’enseignement catholique en Orient, explique Bernard Heyberger, directeur d’étude à l’École des Hautes études en sciences sociales (EHESS) et à l’École pratique des Hautes études (EPHE), interrogé par France 24. Son principal relai sur place est L’Œuvre d’Orient, une œuvre ecclésiale placée sous l’autorité de l’archevêque de Paris. Les maronites libanais et les Grecs catholiques sont les principaux interlocuteurs de la France dans la région, tandis que le pays échange moins avec les coptes d’Égypte (orthodoxes) ou les Assyriens (non ralliés à Rome) par exemple. »
Les 174 écoles aidées par le fonds en 2021 sont ainsi situées pour 129 au Liban, où les chrétiens souffrent de la grave crise économique que traverse par le pays, 16 en Égypte, 7 en Israël, 13 dans les Territoires palestiniens et 3 en Jordanie.
Symbole des victimes du terrorisme
Mais pour Mihaela-Alexandra Tudor, c’est bien aux catholiques français qu’Emmanuel Macron s’adresse avant de se déclarer candidat à la présidentielle. L’intérêt porté par le public français aux chrétiens d’Orient s’est en effet accru ces dernières années à la suite de la dégradation sécuritaire globale de la région, consécutive aux guerres en Irak et en Syrie.
Les minorités religieuses ont été particulièrement visées et les chrétiens d’Orient, estimés à 15 millions de personnes par le Vatican, soit environ 4 % de la population régionale, ont souffert de nombreuses exactions. Ils restent encore placés sous la menace d’attentats dans plusieurs pays.
« Les chrétiens d’Orient sont devenus le symbole des victimes civiles des groupes terroristes islamistes, analyse Mihaela-Alexandra Tudor. Après les attentats commis en France par les groupes État islamique et Al-Qaïda, leur cause est entrée en écho avec la lutte menée par l’État français contre le terrorisme et la défense de valeurs démocratiques comme la liberté religieuse. »
Rayonnement international
L’engagement d’Emmanuel Macron s’inscrit également dans une stratégie de conservation de l’influence française en Asie de l’Ouest. « La France soutient les écoles chrétiennes d’Orient car c’est son seul relai sur place, souligne Bernard Heyberger. Jusqu’à récemment, les chantiers archéologiques étaient aussi un espace de rayonnement français, mais avec la situation dans la région, ils se raréfient. Les écoles restent donc le meilleur levier dont dispose la France pour développer son influence : là où la France subventionne, il y a un enseignement du français. »
Ces écoles permettent ainsi de conserver des francophones dans la région, même si leur nombre a fortement baissé. Le soutien apporté par la France aux populations chrétiennes d’Asie de l’Ouest ne date pourtant pas d’hier et a résisté aux politiques de laïcisation mises en place à partir de 1905.
« L’Œuvre d’Orient existe depuis la fin du XIXe siècle, relate Bernard Heyberger. Il est créé après les massacres de chrétiens à Damas et au Liban dans les années 1860. Napoléon III puis la IIIe République s’en emparent et construisent un récit faisant remonter cette protection à la nuit des temps, en invoquant les figures de Saint Louis et de Charlemagne. Depuis cette période, le thème est porté par la droite et l’extrême droite et intéresse ponctuellement la gauche. »
Emmanuel Macron se place ainsi dans une continuité historique, en espérant séduire l’électorat de droite catholique. Il n’est pas sûr néanmoins que la stratégie paie, puisque « le message peut être considéré comme opportuniste, rappelle Mihaela-Alexandra Tudor. Les catholiques sont habitués aux appels du pied des candidats à la présidentielle et tout le monde peut changer d’avis dans l’isoloir ».
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