L’armée de Guinée-Bissau a lancé mercredi une vaste opération, y compris au siège du gouvernement selon un responsable militaire, pour retrouver les commanditaires et les protagonistes de la tentative de coup d’Etat qui a tué 11 personnes mardi, sur laquelle subsistent de nombreuses zones d’ombre.
La vie a prudemment repris son cours dans la capitale Bissau, ont constaté des correspondants de l’AFP. Les commerces et les banques ont rouvert, mais les militaires patrouillaient dans les environs du palais du gouvernement et en interdisaient l’accès, au lendemain de l’attaque du complexe par des hommes armés aux motivations toujours obscures.
Noelho Barboza, un habitant de Bissau de 27 ans, se désole de cet énième coup de force dans l’histoire agitée de ce petit pays ouest-africain de deux millions d’habitants, qui a connu depuis son indépendance du Portugal en 1974 quatre putschs (le dernier en 2012), une kyrielle de tentatives de coup d’Etat et une instabilité gouvernementale chronique.
Il se souvient de l’assassinat de l’ancien président João Bernardo « Nino » Vieira en 2009 et redoute que « la prochaine » ne soit « la bonne » pour l’actuel chef de l’exécutif.
« Il n’y aura plus de confiance de la part des investisseurs. Ces événements ramènent encore la Guinée-Bissau cinq ans en arrière. Ces événements risquent de mener la Guinée-Bissau à une autre guerre civile », dit-il.
Mardi, le président Umaro Sissoco Embalo et les membres du gouvernement sont restés coincés pendant plusieurs heures dans le palais du gouvernement tandis que résonnaient des tirs nourris entre forces loyales et assaillants, figeant Bissau dans l’attente.
Le président et les ministres ont fini par pouvoir sortir indemnes. Mais les combats ont fait 11 morts, selon le porte-parole du gouvernement Fernado Vaz, également ministre du Tourisme.
« Le gouvernement déplore (…) la perte de 11 vaillants hommes au cours de l’attaque. 11 victimes, des militaires et paramilitaires, quatre civils dont le chauffeur et un haut cadre du ministère de l’Agriculture », a dit M. Vaz au cours d’une conférence de presse.
– Arrestations –
Apparaissant serein devant la presse mardi soir, M. Embalo a parlé d' »acte très bien préparé et organisé », mais aussi d’acte « isolé ». Il n’a pas désigné précisément les auteurs de cette opération, mais il les a liés au combat qu’il dit mener, depuis son accession au pouvoir en 2020, contre le trafic de drogue et la corruption.
Il s’agissait de « tuer le président de la République et tout le cabinet », a-t-il dit. Il a annoncé dès mardi soir de premières arrestations.
Une commission d’enquête a été créée. Le même responsable militaire, proche de cette commission, a indiqué qu’une vaste opération de recherche était en cours et que des éléments des renseignements militaires s’étaient rendus au siège du gouvernement pour collecter des informations.
Les nouvelles venues de Bissau ont immédiatement fait penser à la série de coups d’Etats dont l’Afrique de l’Ouest est le théâtre depuis août 2020, à deux reprises au Mali, dernièrement au Burkina Faso et entre-temps en Guinée.
Mais, contrairement à ces pays où certains ont agi par exaspération face aux violences jihadistes ou aux abus du pouvoir, rien n’est venu accréditer chez les assaillants en Guinée-Bissau (pays préservé des attaques des groupes armés islamistes) une volonté de prendre les commandes pour de telles raisons.
– Conjectures –
Les causes de l’attaque restaient donc l’objet de spéculations: passage à l’action d’hommes dont M. Embalo gênerait les trafics, jalousies militaires, ou rivalités plus politiques, voire un mélange de tout cela ?
Dans l’un des pays les plus démunis au monde prospèrent les trafics, de bois et de drogue. La Guinée-Bissau est considérée comme une plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Les élites accaparent historiquement les richesses et la corruption est répandue. Les bonnes places sont rares et disputées, y compris au sein de l’armée qui joue un rôle prééminent et opaque.
Vincent Foucher, chercheur au Centre nationale de recherche scientifique français (CNRS), conjecture que M. Embalo, ancien général, aurait pu fâcher du monde en voulant affirmer son autorité sur l’armée.
L’analyste sénégalais Babacar Justin Ndiaye évoque, lui, « un cocktail de divergences au sommet de l’Etat », en premier lieu entre le président et le Premier ministre Nuno Gomes Nabiam, sous une Constitution depuis longtemps critiquée en ce qu’elle favorise les crispations. Il mentionne aussi auprès de l’AFP le désaccord entre le chef de l’Etat et le parlement sur le partage des ressources du pétrole à la frontière avec le Sénégal.
Les experts soulignent constamment l’importance du facteur communautaire dans un pays qui est un melting-pot humain, majoritairement musulman, avec une forte minorité chrétienne, et une multitude de religions, d’ethnies et de langues.
La France a condamné « fermement » la tentative de coup d’Etat et exprimé son appui au respect des institutions démocratiques, dans un communiqué.
Avec l’Agence France-Presse
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