Hécatombe de poissons dans l’Atlantique, Sea Shepherd pointe le « laxisme » de la France

Une centaine de milliers de poissons morts ont été rejetés à la mer au large de La Rochelle, jeudi, par l’un des plus gros navires de pêche au monde. Alors que l’équipage évoque un « incident », l’ONG Sea Shepherd dénonce un « pillage » et espère éveiller les consciences citoyennes afin que des décisions politiques strictes soient prises pour lutter contre la surpêche.

De loin, une longue ligne blanche semblable à de l’écume. De près, une centaine de milliers de poissons morts, rejetés des filets de l’un des plus gros chalutiers au monde. Le spectacle macabre a été immortalisé et diffusé sur les réseaux sociaux, jeudi 3 février, par Sea Shepherd, lors de l’opération Ocean Killers dans le golfe de Gascogne. Dénonçant un « pillage en règle », l’ONG, qui se consacre à la protection des écosystèmes marins, a immédiatement interpellé la ministre de la Mer, Annick Girardin, qui a annoncé, vendredi, avoir demandé l’ouverture d’une enquête administrative.

Le navire-usine responsable, le Margiris a, lui, reconnu « un incident de pêche ». Une version appuyée par l’association européenne des chalutiers congélateurs pélagiques (PFA) qui évoque un « fait rarissime » lié à la rupture « accidentelle » du chalut contenant les merlans bleus, alors relâchés « de manière involontaire ».

Pourtant, Sea Shepherd l’assure : cet événement n’a rien de rare. Et il doit permettre d’éveiller la conscience des citoyens français sur les conséquences désastreuses de la surpêche.

« C’est un navire qui est habitué à ce genre d’’accident de pêche’, puisqu’il a déjà été mis en cause dans des rejets de captures non désirées », explique Lamya Essemlali, présidente et co-fondatrice de Sea Shepherd France, contactée par France 24. « De plus, nous avons déjà filmé d’autres navires qui, eux aussi, relâchent dans leur sillage des milliers de poissons morts. C’est donc un ‘accident’ qui se répète beaucoup sur ces navires-là », ironise-t-elle.

Des pêcheurs « qui considèrent que l’océan leur appartient »

Les équipes de Sea Sheperd France l’avaient vu arriver dans le golfe de Gascogne, raconte Lamya Essemlali. « On avait repéré le Margiris sur MarineTrafic, donc on a quitté le port de La Rochelle mercredi soir, et on a fait route vers lui ». L’objectif, dit-elle, était de documenter, de filmer l’opération de pêche « pour montrer au grand public à quoi ressemble la pêche industrielle par des chalutiers géants. »

Surnommé « le monstre » par les médias britanniques, le Margiris, avec ses 6 200 tonnes et 143 mètres de long, a fait l’objet d’une levée de boucliers massive en Australie, où il a été banni après la mobilisation des ONG et de l’opinion publique.

En 2019, au Royaume-Uni, les écologistes s’étaient également élevés contre sa présence dans les eaux britanniques. Toutefois, « ils n’avaient pas réussi à l’expulser, car le Royaume-Uni faisait encore partie de l’Union européenne et n’avait pas la marge de manœuvre qu’avait l’Australie », précise Lamya Essemlali, évoquant une politique commune des pêches où les décisions doivent être prises au niveau européen.

Pourtant, même à ce niveau, la France fait figure d’exception, poursuit la co-fondatrice de Sea Shepherd France. « Ce n’est pas l’Europe qui empêche la France de prendre de bonnes mesures, c’est plutôt la France qui freine des quatre fers à chaque fois que l’Europe veut renforcer les contrôles ». Une position qu’elle explique par un sentiment de toute puissance des pêcheurs français « qui considèrent que l’océan leur appartient ».

« Ceux qui exploitent l’océan n’en sont pas propriétaires : ils exploitent un patrimoine commun qui ne leur appartient pas, qui est fragile et dont nous dépendons tous, car l’océan est le premier organe de régulation du climat et le premier producteur d’oxygène » 

Lamya Essemlali, présidente et co-fondatrice de Sea Shepherd France

Imposer des caméras embarquées

Au lendemain de la diffusion des images sur les réseaux sociaux, la ministre de la Mer a réagi par un tweet : « Bien sûr, ces images choquent », écrit-elle.

« La ministre a l’air étonnée de voir ces images, mais la France a malheureusement un très long historique de carences en matière de contrôle des pêches », rappelle la présidente de Sea Shepherd, évoquant des dizaines de milliers d’euros d’amende pour laxisme dans le contrôle des pêches, et une mise en demeure par la Commission européenne en juin dernier.

« Non, ce n’est pas un fait rarissime, insiste Lamya Essemlali, et on est assez étonnés de voir avec quel empressement la ministre cautionne et valide la version de l’accident ».

Car Sea Shepherd le martèle : la pêche est la première menace qui pèse sur la survie de l’océan, et cela fait l’objet d’un consensus scientifique. « Cela impose donc une responsabilité et un devoir de transparence de la part des pécheurs ».

En effet, pour l’ONG, le cœur du problème demeure l’opacité qui règne en mer. « La mer est une zone d’impunité », abonde Lamya Essemlali. « Notre règlementation en France n’est pas suffisante pour empêcher la destruction de l’écosystème marin et protéger efficacement les espèces menacées, mais en plus, cette règlementation n’est pas respectée et contrôlée ».

C’est pourquoi Sea Shepherd demande à ce que soient imposées des caméras embarquées à bord des navires, afin d’identifier et de maintenir à quai les navires de pêche les plus destructeurs. Et pour que ceux qui naviguent au large « soient mieux contrôlés, qu’ils rendent des comptes et que l’on ne soit pas tenus à la seule version des armateurs ».

Mais avant même d’interpeller le pouvoir politique, l’action de Sea Shepherd avait pour but de braquer les projecteurs sur la réalité de la surpêche, dont sont peu conscients les citoyens, déplore Lamya Essemlali.

« Quand on est un citoyen français, on est membre d’une nation qui a un rôle prépondérant », dit-elle à France 24. En effet, rappelle-t-elle, la France a le plus grand littoral d’Europe ; elle est la deuxième puissance maritime mondiale ; et elle est la seule au monde à être présente sur tous les océans de la planète. « La défense de l’océan devrait être une grande cause nationale. Or, les lignes ne bougeront au niveau politique que si l’opinion publique s’empare de ce sujet ».

À quelques jours de l’ouverture du One Ocean Summit, sommet organisé à l’initiative d’Emmanuel Macron dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, Sea Shepherd espère donc que le désastre dont elle s’est fait le relais aura eu suffisamment d’écho dans la société pour accélérer la prise de décisions politiques.

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