Heather Morgan et Ilya Lichtenstein ont été arrêtées, mardi, aux États-Unis où ils sont soupçonnées d’avoir essayé de blanchir plus de trois milliards de dollars de bitcoins volés. Mais c’est le profil de ce couple, surnommé les « Bonnie and Clyde » du cybercrime, qui a surtout retenu l’attention médiatique.
En juin 2020, elle écrivait, entre deux chansons de rap, un article pour le site Forbes afin de donner des « conseils pour éviter d’être victimes » de cybervoleurs sur Internet. Deux ans plus tard, Morgan Heather, arrêtée mardi 8 février aux États-Unis, et son mari Ilya Lichtenstein sont accusés par le ministère américain de la Justice d’avoir tenté de blanchir plus de 3,6 milliards de dollars en bitcoins volés.
Les autorités américaines ont ainsi célébré leur plus importante saisie de bitcoins. Elle clôt un chapitre de l’histoire du casse informatique en 2016 de Bitfinex, une plateforme d’échange de cryptomonnaies.
Rappeuse comme « Gengis Khan avec plus de pizzazz »
Des cybercriminels avaient alors réussi à subtiliser 119 754 bitcoins, soit un butin de 71 millions de dollars au cours du bitcoin de l’époque. Cinq ans plus tard, la valeur de ce larcin a explosé au gré de la progression du cours de la célèbre cryptomonnaie, pour atteindre plus de quatre milliards de dollars.
Ce qui a fait de Morgan Heather et Ilya Lichtenstein, accusés uniquement de blanchiment et pas d’être à l’origine du vol, l’un des couples les plus riches de la cybercriminalité. Du moins potentiellement. Sur les près de 120 000 bitcoins qui ont été dérobés en 2016, le FBI n’en a saisi que 94 000, soit 3,6 milliards de dollars, dans les portefeuilles virtuels des deux tourtereaux.
En outre, le couple semble n’avoir réussi qu’à blanchir une fraction de cette somme – un peu moins d’un milliard de dollars – malgré leurs efforts pour brouiller les pistes en utilisant « toute une série de techniques avancées », résume le FBI dans l’acte d’accusation, mis en ligne mercredi 10 février. « C’est la preuve que le bitcoin n’est pas le paradis souvent dépeint pour le blanchiment de l’argent du crime », souligne Matt Levine, un ancien banquier de Goldman Sachs devenu chroniqueur financier pour la chaîne économique américaine Bloomberg.
Mais les « exploits » de Morgan Heather et Ilya Lichtenstein ont d’autant plus attiré l’attention qu’ils n’ont pas le profil type de cerveaux du cybercrime. Ils n’ont rien à voir avec les pirates informatiques russes ou chinois qui inondent le web de rançongiciels et autres virus destructeurs.
Le couple a d’ailleurs rapidement été surnommé les « Bonnie and Clyde » de la cybercriminalité. Une manière de romancer cette affaire qui tient surtout à la personnalité extravagante de Morgan Heather. Cette pigiste pour Forbes depuis plus de trois ans se décrit elle-même sur Twitter comme « serial entrepreneure, investisseuse occasionnelle, artiste surréaliste et styliste inspirée par sa synesthésie [une affection neurologique qui peut notamment permettre d’associer des sons à des couleurs] ».
Un sacré programme que cette trentenaire se fait fort de préciser – ou de rendre encore plus abstrait – sur son site personnel. Celle qui se fait surnommer « Razzlekhan », c’est-à-dire « comme Genghis Khan, mais avec bien plus de pizzazz (sic – un autoportrait qui n’a pas plus de sens que le reste du site) », s’y décrit comme « la Crocodile de Wall Street qui s’en prend à tout le monde, des Big Tech aux géants de la finance en passant par les labos pharmaceutiques ».
Une rebelle du système, une sorte d’hactiviste avec une fibre d’artiste absurde ? En réalité, son assaut contre le système et les intérêts des puissants se résume à une tentative de percer comme rappeuse depuis 2019. Avec des titres comme « Menace to society », « Versace Bedouin » ou « High in the Cementery », elle a laissé les critiques du magazine Rolling Stone pantois.
https://youtu.be/-38TQeQrQ88
Pas si antisystème que ça
Son utilisation du pungi – l’instrument fétiche des charmeurs de serpents en Inde -, ces diatribes contre le pouvoir « démoniaque » de Wall Street « sont musicalement inexplicables », résume Rolling Stone. Le magazine trouve tout aussi « absurdes » les rares clips de ses chansons qui subsistent sur le Net – sa chaîne YouTube officielle ayant été fermée après son arrestation. Ces tentatives de danser le twerk dans les rues de Ho Chi Minh tout en expliquant qu’elle est une « menace to society » (menace pour la société) « suggèrent qu’elle n’a pas une compréhension profonde du ‘flow’ du rap », souligne Rolling Stone.
Mais surtout, ses sorties musicales antisystèmes et contre le « modèle de la Silicon Valley » cadrent mal avec ses activités professionnelles. Elle a non seulement multiplié les articles pour Forbes et Inc. dans lesquels elle donne des conseils pour réussir à percer dans le monde impitoyable des start-ups.
Elle a, d’ailleurs, monté sa propre entreprise de marketing par email, et a travaillé dans plusieurs sociétés de la Silicon Valley. C’est dans cette autre vie qu’elle aurait rencontré son futur mari et présumé complice dans le crime, Ilya Lichtenstein.
Cet Américain qui a aussi la nationalité russe a travaillé dans au moins deux sociétés tech où Morgan Heather a été employée. Il a un profil d’entrepreneur bien plus classique que sa femme. Il a notamment fondé MixRank, une start-up de marketing sur internet qui a reçu le soutien financier de certains des investisseurs les plus en vue dans la Silicon Valley, comme le milliardaire Mark Cuban. Ironiquement, Morgan Heather fait de Mark Cuban l’une de ses cibles dans son clip « Silicon Valley Parody Rap »…
Les « Bonnie and Clyde » du cybercrime ont fini par se marier en novembre 2021, soit plus de quatre ans après avoir commencé à blanchir les milliards du braquage de Bitfinex. Une cérémonie que des amis ont décrit comme « très modeste », souligne le Wall Street Journal. Le FBI note d’ailleurs dans son acte d’accusation que l’argent du blanchiment ne leur a pas servi à faire des folies, puisque le couple l’a utilisé pour des « cartes cadeaux » dans la grande surface américaine Walmart, pour payer des Uber ou encore faire des achats dans le magasin en ligne de la console de jeux vidéo Playstation.
D’après le Wall Street Journal, ils voulaient acheter prochainement un grand appartement à New York. Heather Morgan et Ilya Lichtenstein pourraient plutôt passer du temps dans une petite cellule, puisqu’ils risquent jusqu’à 20 ans de prison s’ils sont reconnus coupables.
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