Force active dans la zone sahélienne via son contingent de soldats au sein de la Minusma, le Tchad reste l’un des principaux acteurs de la lutte antijihadiste dans la région. Cet allié de la France craint toutefois d’être pénalisé sur le terrain par le retrait des soldats de Takuba, et ce alors qu’il essuie le plus de pertes humaines dans les combats.
Après l’annonce du retrait des soldats français au Mali, la France mise sur le Niger comme principal point d’appui de la réarticulation de la lutte antijihadiste, mais aussi sur le Tchad, où une présence militaire française sera maintenue.
Sa capitale, N’Djamena, qui accueille encore aujourd’hui l’état-major de Barkhane voué à disparaître en même temps que l’opération du même nom, est un acteur de poids des opérations militaire au Sahel. Le Tchad y est très impliqué au sein des forces du G5 Sahel et de la Minusma.
Quelque 1 400 soldats tchadiens se trouvent sur le terrain des opérations au Mali, dans le cadre de la mission de la Minusma, dont la question de la prolongation va être posée le 30 juin 2022, date de l’échéance du mandat annuel de la mission onusienne.
Des combattants pugnaces face aux jihadistes
Sur le terrain des combats contre les groupes armés jihadistes au Sahel, notamment au Mali, l’armée tchadienne est « une des plus performantes », estime Wassim Nasr, journaliste de France 24 spécialisé dans les mouvements jihadistes. « Ils quadrillent le terrain, ils ont de bons contacts avec certaines franges de la population locale, grâce à quoi ils arrivent à avoir de bons renseignements. À Aguelhok [près de la frontière algérienne en avril 2021], non seulement ils ont défendu leur base, mais ils ont poursuivi les jihadistes et ont tué un commandant tunisien du GSIM [Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, lié à Al-Qaïda]. »
#Mali (1/2)#JNIM a essuyé un revers important le 2.04 lors de son attaque d’#Aguelhok selon mes informations les jihadistes ont essuyé de lourdes pertes +30morts & plusieurs véhicules/armes abandonnés dont un mortier (photos ci-dessous) Au moins un commandant touareg tué > pic.twitter.com/XQcnBkxFqU
— Wassim Nasr (@SimNasr) April 5, 2021
Toutefois, rappelle Wassim Nasr, des soldats tchadiens ont été accusés d’exactions graves dans la région. Le viol de plusieurs habitantes de Tera, dans le sud-ouest du Niger, dont une fillette de 11 ans et une femme enceinte, ont été condamnés par le ministère tchadien des Affaires étrangères et la Force conjointe du G5 Sahel. Un contingent de 1 200 soldats tchadiens avait été déployé durant cette période dans cette zone dit des « trois frontières », proche du Mali et du Burkina Faso, dans le cadre du G5 Sahel.
Des accusations embarrassantes pour les alliés du Tchad, d’autant que ce n’est pas la première fois que des militaires tchadiens sont accusés de commettre des violences sur les civils. Le problème a été évoqué lors de plusieurs sommets du G5 et l’organisation a mis en place un « projet-cadre de conformité aux droits de l’Homme » pour tenter d’y remédier.
« Le point le plus solide de la guerre contre le terrorisme »
Au terme du retrait français du Mali, la France comptera « de 2 500 à 3 000 hommes » au Sahel, répartis entre le Tchad, le Niger, le Burkina Faso, tout en s’appuyant sur ses forces prépositionnées au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon, a indiqué jeudi le porte-parole de l’état-major, le colonel Pascal Ianni.
« Des éléments retirés du Mali vont faire escale ou rester stationnés à N’Djamena et à Dakar », fait savoir Jean-Vincent Brisset, ancien général de brigade aérienne et expert des questions de défense à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) interrogé par France 24. « Mais le Tchad ne peut pas servir de base arrière, car stratégiquement N’Djamena est trop éloignée par rapport à Niamey par exemple, bien plus pratique en cas de nécessité de redéploiement rapide ».
Le Tchad, estime pourtant ce spécialiste, est « le point le plus solide de la guerre contre le terrorisme, et ce depuis longtemps ». Sa coopération avec la France dans ce domaine est très ancienne, par rapport au Niger notamment, qui lui intervient surtout parce qu’il est directement impacté par la menace jihadiste.
Envoi de 1 000 soldats en renfort dans le nord du Mali
L’arrivée au pouvoir du général Mahamat Idriss Déby Itno, proclamé président du Tchad il y a neuf mois par l’armée à la mort de son père Idriss Déby Itno en avril 2021, aurait pu semer le doute. Mais le fils semble poursuivre l’engagement militaire de son père au Sahel.
Les soldats tchadiens n’ont pas fait demi-tour, au contraire, la junte militaire tchadienne avait même décidé dès décembre 2021 de renvoyer des hommes au Mali afin de renforcer le contingent stationné dans la région d’Aguelhok, en prévision du départ annoncé des soldats français, ce à quoi le gouvernement malien avait donné son accord.
Ce déploiement est-il contesté dans le contexte actuel ? Cela ne semble pas être le cas. « Un renfort de 1 000 soldats s’apprête à être déployé pour prêter main forte aux forces stationnées au Mali », a indiqué jeudi Mamadou Djimtebaye, correspondant de France 24 à N’Djamena, en contact avec des sources au sein de l’armée tchadienne.
Une situation politique fragile au Tchad
Acteur militaire de poids dans la région, le Tchad a néanmoins des problèmes internes à résoudre après à la succession d’Idriss Déby avec « une montée en puissance des oppositions et un manque de coordination au sein-même du clan Déby », souligne Jean-Vincent Brisset.
Mahamat Idriss Déby Itno, qui a pris le pouvoir en avril à la tête d’un Conseil militaire de transition (CMT) de 15 généraux, avant de se faire proclamer président et de dissoudre Parlement et gouvernement, avait rapidement reçu un soutien international, notamment de la France, de l’Union européenne et de l’Union africaine. Ces acteurs demandaient toutefois que la période de « transition » pour le remettre aux civils ne dépasse pas 18 mois, soit des élections au plus tard en octobre 2022.
Or les services du général Mahamat Idriss Déby ont annoncé fin janvier le report de trois mois, au 10 mai, d’un « dialogue national inclusif » censé préparer des scrutins présidentiel et législatifs à l’automne 2022. Ce « léger décalage dans la calendrier initial (…) ne remet pas fondamentalement en cause l’objectif de tenir les échéances électorales vers la fin de l’année en cours », a promis Chérif Mahamat Zène, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement de transition. Ce dont doute une partie de l’opposition tchadienne.
Perte de l’appui aérien des Français au Mali
Autre inconnue des mois à venir : la question de l’accès à l’espace aérien malien par l’armée française, avec des vols de reconnaissance et des drones, est cruciale pour les forces tchadiennes. Les soldats de la Minusma, dont les Tchadiens, ont besoin de pouvoir s’appuyer sur les renseignements français permettant la désignation de menaces et de cibles. « Les officiers tchadiens contactés déplorent cette perte en termes de logistique, de renseignement militaire et en appui aérien », relate Mamadou Djimtebaye.
« Le départ de l’armée française va exposer les soldats tchadiens », s’inquiète pour sa part Adelph Mbaindangroa Djekornondé, journaliste tchadien indépendant qui vit entre la France et N’Djamena, contacté par France 24. « D’autant que l’armée tchadienne régresse en qualité », estime cet analyste.
« La quantité et la détermination sont là. Mais quelque chose a changé avec l’arrivée au pouvoir de Mahamat Idriss Déby. Il a lancé une campagne de recrutement massif de militaires avec des formations accélérées. Ce sont ceux qui sont envoyés sur le terrain et ils ont moins de rigueur. Des problèmes de communication et de langues peuvent aussi se poser avec les autre forces onusiennes », déplore Adelph Mbaindangroa Djekornondé. Ce qui fait craindre à cet observateur qu’il y ait plus de morts tchadiens au Sahel, alors que le pays a déjà payé un lourd tribut dans cette guerre contre le terrorisme.
Sur terrain, le Tchad a essuyé beaucoup de pertes avec 60 Casques bleus tués sur 159 au Mali, principalement dans des attaques jihadistes.
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