Saïed a profité du sommet Afrique‑Europe pour s’adresser directement à l’Occident et dissiper le flou autour du processus politique qu’il a mis sur les rails depuis le 25 juillet. Les messages étaient forts et nombreux, mais le sens était unique : il n’est pas question d’évoquer un putsch contre la démocratie tunisienne et pas de craintes pour les libertés.
Il n’y a pas de meilleure occasion pour s’adresser directement aux présidents et aux responsables des pays occidentaux sans aucune médiation. Chose qui a permis au Président de la République de multiplier les messages et de saisir l’opportunité de promouvoir son projet politique considérablement entaché par des informations, parfois fausses et imprécises. Si ces derniers temps et notamment après la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) la pression sur la mouvance du 25 juillet parvenait de toutes parts, il était fondamental de s’adresser à l’Occident et de rassurer sur le sort d’une démocratie tunisienne affaiblie par des querelles politiques depuis la révolution.
Multipliant les entrevues avec les chefs de l’Etat et des hauts responsables politiques et économiques européens, le locataire de Carthage n’a pas omis de rappeler que le profil de constitutionnaliste ne lui permet pas d’oser des actes dictatoriaux. « Comme l’a dit un jour le général de Gaulle, ce n’est pas à cet âge que je vais commencer une carrière de dictateur », annonçait Kaïs Saïed, dès son arrivée à Bruxelles, la couleur de son déplacement. Pour lui, le message est clair, il n’y aura plus de retour à un régime totalitaire en Tunisie, mais les dispositions exceptionnelles interviennent pour sauver un pays des griffes de la corruption et de l’injustice.
C’est la première fois que le Président quitte le pays depuis le 25 juillet. Il s’est refusé, jusque-là, de participer à tout événement international d’envergure, y compris le sommet de l’Union africaine. Alors qu’il ne fait que subir la pression et les critiques venant de plusieurs puissances mondiales, Kaïs Saïed semble prendre les choses en main en s’adressant directement à ces pays à Bruxelles, capitale de l’Europe. Si le lieu est symbolique, le timing l’est encore plus. Le vieux continent connaît actuellement une grande tension à cause de la crise ukrainienne et l’enjeu géopolitique est de taille.
D’ailleurs, devant le chancelier autrichien Karl Nehammer Graha, il a réitéré son ferme engagement à garantir les droits de l’homme et libertés et son adhésion aux valeurs de démocratie, de justice et d’indépendance de la justice.
Un nouveau ton ?
Outre cet objectif de clarifier les choses avec ces puissances mondiales, le Chef de l’Etat s’est également distingué par un ton peut-être inédit pour la diplomatie tunisienne. Alors qu’il a toujours montré son soutien aux causes justes, Kaïs Saïed a recadré certaines voix étrangères qui évoquent une injustice en Tunisie. L’Afrique, un sujet sensible à ses yeux, était au cœur des messages transmis par le Président de la République à l’Europe. « A la fin des années 50 et 60, l’Union africaine était un rêve bien beau, mais ce rêve a fini par disparaître et notre argent et nos richesses ont été dérobés. Ils parlent des fois de justice et de son indépendance. Pourquoi ne nous rendent-ils pas notre argent ?! Pourquoi couvrent-ils souvent des crimes ?! Pourquoi se permettent-ils de s’ingérer alors qu’ils envoyaient des lettres de félicitation à la fin de chaque élection qu’ils savent falsifiée ?! », s’est-il exprimé devant les médias dans un ton le moins qu’on puisse dire, ferme et inédit.
Une diplomatie renouvelée ?
Il est clair que Kaïs Saïed est en train de donner un renouveau à la diplomatie tunisienne bâtie surtout sur de nouvelles relations avec les puissances mondiales. D’ailleurs, dès son arrivée en Belgique, il a souligné qu’il s’agit « d’ouvrir de nouvelles perspectives dans les rapports avec l’Union européenne et avec le monde entier ». « Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de l’histoire et il nous faut de nouvelles idées et il nous faut également de nouveaux concepts. Soyons donc au rendez-vous avec cette nouvelle histoire », a-t-il tenu à préciser.
Aussi, il est primordial de préserver les bonnes relations avec des pays frères comme l’Egypte. C’est d’ailleurs, dans ce contexte qu’il a eu un entretien avec son homologue égyptien Abdelfatah Al-Sissi. Une rencontre fortuite qui a vite pris un ton officiel et au cours de laquelle les deux Chefs d’Etat ont exprimé « leur profonde satisfaction quant au développement continu des relations de fraternité et de coopération entre la Tunisie et l’Egypte dans divers domaines », et ont réitéré « leur ferme volonté de continuer à renforcer ces liens historiques », comme l’a souligné la page Facebook de la Présidence de la République.
Notons qu’en marge du Sommet, Kais Saied a aussi effectué une série de rencontres avec le président français Emmanuel Macron, le président du conseil présidentiel libyen Mohamed Al- Manfi, le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, le président Ivoirien Alassane Ouattara et le président Nigérian Muhammadu Buhari. Ces entretiens ont porté, notamment, sur le besoin de nouvelles visions pratiques de nature à consolider le rôle de l’Europe dans la réalisation de la paix, de la stabilité et du développement en Afrique.
Jeudi dernier, Kaïs Saïed a eu un entretien avec le président nigérien Mohamed Bazoum à qui il a insisté sur la volonté de consolider les relations entre les deux pays et de développer les projets de partenariat au service des deux peuples. De même, le chef de l’Etat Kaïs Saïed a eu un entretien avec la secrétaire-générale de l’organisation internationale de la Francophonie Louise Mushikiwabo. La Tunisie est prête à organiser ce rendez-vous, a tenu à préciser le chef de l’Etat, réitérant l’attachement de la Tunisie à réunir toutes les conditions de réussite de ce sommet très attendu. « Nous avons parachevé tous les préparatifs logistiques pour recevoir les invités de la Tunisie, et nous sommes confiants que le sommet de Djerba sera un cadre adéquat pour renforcer les relations entre les Etats membres », a-t-il dit.
Le sommet Union européenne – Union africaine a réuni les dirigeants de l’Union européenne et de l’Union africaine du 17 au 18 février 2022. Il constitue une occasion « de jeter les bases d’un partenariat renouvelé et approfondi entre l’UA et l’UE bénéficiant d’un engagement politique au plus haut niveau fondé sur la confiance et une compréhension claire de nos intérêts mutuels ».
Durant ce rendez-vous, plusieurs enjeux économiques sont évoqués. L’objectif étant de lancer un paquet d’investissements Afrique‑Europe en tenant compte des défis tels que le changement climatique et la crise sanitaire actuelle. Des investissements devraient être annoncés . Ceci alors que l’UE reste le premier partenaire multilatéral du continent avec des échanges commerciaux qui ont augmenté de 20 % pour atteindre plus de 200 milliards entre 2016 et 2020.
lapressetn
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