Reconduit à la tête de la centrale syndicale, le chef de l’Union générale tunisienne du travail se pose en principal opposant au projet politique du chef de l’État.
Noureddine Taboubi, a u centre, rééelu secrétaire général de l’Union général tunisien pour le travail, le 18 février 2022, à Tunis.© Mohamed Hamm/SIPA. Noureddine Taboubi, a u centre, rééelu secrétaire général de l’Union général tunisien pour le travail, le 18 février 2022, à Tunis.
Rituel politique au-delà des divisions politiques et idéologiques, la commémoration de l’assassinat de Farhat Hached, le 5 décembre, est un incontournable de l’agenda politique tunisien. Rétrospectivement, le rendez-vous a été le témoin d’un premier coup de semonce de la présidence tunisienne à l’encontre de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), dirigée par Noureddine Taboubi.
À l’occasion de ce 69e commémoration du guet-apens mortel tendu par l’officine occulte La Main Rouge pour abattre le fondateur de la centrale syndicale, le président Kaïs Saied n’a pas dérogé à la cérémonie en la mémoire de celui qui fait figure de patriote parmi les patriotes. Il en a profité pour tacler l’organisation en assurant sans sourciller que, du temps de Farhat Hached, le travail syndical était « pur et national, et n’intervenait uniquement qu’au profit de la patrie ».
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Une attaque à peine voilée, qui dit combien le président de la République et la centrale sont à couteaux tirés. Noureddine Taboubi, son secrétaire général – il a été reconduit le 18 février –, ne s’en émeut pas pour autant. Il sait que l’UGTT représente l’un des corps intermédiaires que Kaïs Saïed est tenté de dissoudre et de remplacer par une organisation sous son contrôle.
Ramener le dialogue national
La veille, la centrale syndicale, qui n’adhère pas au projet de démocratie directe que le président veut imposer, a fait la démonstration de sa présence, de son activisme, de sa ténacité et de son rôle sur la scène politique tunisienne, en réunissant près de 8 000 personnes autour du mausolée de Farhat Hached, à Tunis. Un symbole qui marque la détermination des unionistes et rappelle qu’au-delà de son action syndicale, l’organisation, de par son implication dans la lutte nationale, est également partie prenante de la scène politique.
Moteur de la révolution de 2011, l’UGTT a été l’instigatrice du dialogue national qui a sauvé le pays d’un potentiel conflit civil en 2013 et a été récompensée par le prix Nobel de la paix en 2015. Six ans plus tard, la voilà à nouveau sur le front. Faute de canaux de discussion avec la présidence, Noureddine Taboubi, prend les Tunisiens à témoin, leur expose la vision du syndicat pour une sortie de crise honorable et affirme que la centrale n’adhère pas au projet de démocratie directe que le président veut imposer. En précisant, le 7 décembre, que « le dialogue a été rompu alors que nous recherchons l’unité nationale », il a alerté « contre un danger imminent dû à un échec politique et à l’absence d’un programme pour sortir le pays du tunnel qu’il traverse » et invité à « aller vers un dialogue national global pour ramener la Tunisie sur la voie de la démocratie ».
Une position mûrie depuis les décisions présidentielles de Kaïs Saïed qui, le 25 juillet, a gelé le Parlement, s’octroyant par la même le pouvoir exécutif. « Nous avons approuvé l’initiative pour mettre un terme à la corruption et à l’échec des politiciens sur la dernière décennie, mais nous n’avons pas cessé de demander quelle sera la suite sans obtenir de réponse. D’où nos conclusions », précise un familier de la place Mohamed Ali, siège de la centrale.
Pragmatique
Avec la mise à l’écart progressive par le président de tous les interlocuteurs, partis et société civile, plus personne ne songe à réclamer une feuille de route ou une identification précise d’objectifs, mais Taboubi insiste sur la levée de la période des mesures exceptionnelles.
Noureddine Taboubi est un pragmatique qui sait composer avec les rapports de force »
L’UGTT persiste à proposer des solutions et défend l’idée d’une concertation nationale « qui rassemble toutes les sensibilités politiques, sociales et syndicales ». Le silence du président, qui équivaut au fil des semaines à un refus, a conduit la centrale à chercher d’autres alliés et à renouer avec les partis.
« Noureddine Taboubi est un pragmatique qui sait composer avec les rapports de force. Conscient de la situation, il assume le rôle politique de l’UGTT, et a évoqué les engagements de la Tunisie par rapport aux bailleurs de fonds internationaux, ce qui est aussi rare que significatif », relève le spécialiste en communication politique, Kerim Bouzouita.
« Nous devons être en première ligne pour secourir le pays quand il recevra de plein fouet le revers de politiques économiques inadéquates, plaide Tahar, un syndicaliste qui estime que le retard de versement du salaire des cheminots en dit long sur les difficultés de la Tunisie. Avec un secteur privé mis à mal par la pandémie, un effondrement de l’économie entraînerait celui de l’État dont les fonctionnaires sont affiliés à l’UGTT, il faut aussi les défendre. »
La centrale se présente aujourd’hui comme l’un des rares corps capables de rétablir un dialogue multilatéral. Elle a tout à gagner à faire ainsi oublier les désaccords internes qu’elle a connus, notamment dans le secteur de l’éducation, et retrouver son prestige de défenseur de la nation.
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