Et maintenant, que va-t-il faire ? La décision retentissante de Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance de deux provinces séparatistes russophones de l’est de l’Ukraine a beau avoir suscité une cascade de condamnations indignées et de consultations urgentes, elle n’a rien changé à l’inconnue centrale de l’équation posée par le maître du Kremlin : jusqu’où a-t-il l’intention d’aller ? Tout en s’efforçant de répliquer au coup de force de Moscou, s’accordant sur des sanctions et en promettant d’autres en cas d’escalade, les Occidentaux sont restés mardi, comme chaque jour depuis des mois, suspendus au prochain mouvement de Poutine. Lui, l’autocrate «paranoïaque» − selon les mots d’un conseiller de l’Elysée − lancé dans une délirante partie de chamboule-tout révisionniste. Avec, dans le viseur, les frontières européennes de l’après-guerre froide.
Sur le terrain, la journée de mardi n’a pas apporté de développements majeurs, certaines sources locales faisant toutefois état de déplacement de troupes entre la Russie et les provinces orientales de l’Ukraine. Au terme d’un débat éclair, le Sénat russe a accédé sans surprise à la demande de Poutine et autorisé l’envoi de militaires en soutien aux séparatistes. Leur entrée en Ukraine dépendra de la situation «sur le terrain», a prévenu, sibyllin, le président russe, qui a par ailleurs précisé que la souveraineté des séparatistes s’étendait à l’ensemble des régions de Louhansk et Donetsk. Y compris, donc, aux pans contrôlés par l’armée ukrainienne. De quoi ouvrir la voie à un conflit armé bien plus large et dévastateur que celui entamé en 2014.
«Attaque massive»
A l’issue d’une réunion à Bruxelles, le secrétaire général de l’Otan a dit craindre une «attaque massive» de la Russie. Le Premier ministre britannique Boris Johnson a prédit une «offensive d’envergure», quand Joe Biden évoquait sans détour le «début d’une invasion» et promettait une «réponse ferme». Vladimir Poutine est «en train d’élaborer des justifications pour aller beaucoup plus loin», a mis en garde le président américain, estimant néanmoins qu’il était «encore temps d’éviter le pire».
Face à la menace, l’Ukraine a exhorté ses alliés à serrer les rangs, demandant à Londres et Washington «des armes défensives supplémentaires» et à l’Union européenne «la promesse de sa future adhésion». Tout à son obsession d’inverser la logique agresseur-agressé, Vladimir Poutine, qui dépeint l’Ukraine comme une menace à sa porte, a plaidé à l’inverse pour la «neutralité» et la «démilitarisation» du pays, «gorgé» selon lui «d’armes modernes» livrées par les Occidentaux. «Les intérêts et la sécurité de nos citoyens sont pour nous non-négociables», a-t-il d’ailleurs répété mercredi matin dans un discours télévisé, se disant «toujours ouvert à un dialogue direct et honnête pour trouver des solutions diplomatiques.»
Côté occidental, passé le choc de lundi et l’amertume de l’échec diplomatique, l’heure n’est plus au dialogue mais à l’adoption de sanctions graduées. La décision la plus forte est venue mardi de Berlin, où le chancelier Olaf Scholz a suspendu l’autorisation du gazoduc Nord Stream 2. A Paris, les ministres européens des Affaires étrangères ont approuvé «un premier paquet de sanctions à l’unanimité», s’est félicité le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, dont la rencontre prévue vendredi avec son homologue russe Sergueï Lavrov a été annulée. Tout comme celle, programmée la veille à Genève, entre Lavrov et le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken. Mais hormis Nord Stream 2, le secteur gazier russe, dont dépendant de nombreuses nations européennes, reste pour l’heure épargné. Le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, assure malgré tout que les sanctions des Vingt-sept, qui ciblent notamment les députés russes, feront «très mal à la Russie».
«Refus de la guerre»
L’histoire récente permet d’en douter. Comme l’a martelé le vice-ministre russe des Affaires étrangères, «Moscou ne craint aucune sanction». Pas plus d’ailleurs que la guerre, déjà menée par Vladimir Poutine de la Tchétchénie à la Géorgie, et de la Syrie à l’Ukraine. Avantage indéniable d’un président qui dispose du luxe du temps, ne risque pas la sanction des urnes et estime n’avoir de comptes à rendre à personne. Et surtout pas aux Russes, qui «cumulent une sympathie à l’égard des Ukrainiens, un refus de la guerre et un sentiment que les choses sont jouées d’avance et qu’ils ne peuvent pas résister sans risquer leur survie», décrypte Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences en science politique et spécialiste des sociétés post-soviétiques.
Dans cette escalade incertaine, une improbable voix a émergé tard lundi, dans l’enceinte feutrée du Conseil de sécurité de l’ONU. Celle de l’ambassadeur du Kenya qui, dans un discours très remarqué, a vivement critiqué «l’assaut incessant des puissants» contre la charte des Nations Unies. Aujourd’hui, de la part de Russie. Hier, venu d’autres Etats. «Presque tous les pays africains sont nés de la fin des empires. Nos frontières n’étaient pas de notre propre dessein. Elles ont été tracées dans les métropoles coloniales lointaines de Londres, Paris et Lisbonne sans aucun respect pour les anciennes nations qu’elles ont fendues», a rappelé Martin Kimani, dans une allusion à peine voilée à la nostalgie soviétique de Vladimir Poutine et aux «liens» fraternels entre Russie et Ukraine qu’il brandit sans cesse pour se justifier. La guerre, a poursuivi le représentant kenyan, n’a rien d’une fatalité : «Nous avons choisi de suivre les règles de la charte de l’ONU, non pas parce que nos frontières nous satisfaisaient. Mais parce que nous voulions quelque chose de meilleur, forgé dans la paix.»
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