Présidentielle: en occultant l’environnement les candidats ne comprennent pas les Français

Contrairement aux animateurs de plateaux télé, les Français ne sont pas obsédés par l’identité ou la sécurité. L’environnement arrive régulièrement en tête des préoccupations dans les enquêtes d’opinion. Alors par quel miracle ce thème est-il relégué au second plan de la campagne?

En 2020, année douloureuse du confinement, les émissions françaises de gaz à effet de serre ont diminué de près de 9%: pendant des mois, les transports étaient à l’arrêt, l’industrie et les services fonctionnaient au ralenti, l’économie était sous perfusion. Nous souffrions, et pourtant nous étions sur la bonne voie pour respecter la trajectoire des accords de Paris de 2015 et celle de la stratégie nationale bas carbone. En 2022, année électorale, une question toute simple devrait se poser: comment passer à une société décarbonée sans la contrainte d’une pandémie mondiale faisant des millions de morts? Rappelons que si nos émissions domestiques ont fortement baissé entre 1990 et 2018, les émissions importées ont fortement augmenté. Les courbes se sont croisées, ce qui explique tout simplement que l’empreinte carbone de chaque Français, autour de 11 tonnes par an, ne bouge quasiment pas, et que nous nous contentons de délocaliser nos pollutions en attendant de parvenir à 2 tonnes par Français, l’objectif officiel pour 2050…

La pandémie nous a fait comprendre à quel niveau d’efforts se situe la solution, à quel niveau de volonté politique il faut en arriver pour simplement respecter nos propres engagements. Le groupe d’assurances Covéa (MAAF, MMA, GMF) vient de publier un livre blanc qui donne une idée de l’impact du changement climatique d’ici 2050: la sinistralité liée aux inondations augmenterait de 110%, celle liée aux sécheresses de 60%. Avec l’augmentation plus que probable des prix de l’énergie, nous tenons là un cocktail social mortifère. Dans quelques jours enfin, le GIEC rendra public le deuxième volet de son 6ème rapport, consacré à la vulnérabilité des sociétés humaines. Combien de temps les candidats à la présidentielle nous en parleront, avant de retomber dans des questions aussi passionnantes que « pour ou contre un bon steak » ou encore le « manque de grand récit » proposé aux Français?

Les Français ne sont pas obsédés par l’islam, l’identité ou la sécurité

Quoique cette notion de « récit » ait quelque chose d’infantilisant, on peut en trouver un, et pas des moindres, sous la plume du think tank le Shift Project, fondé par Jean-Marc Jancovici, qui a de plus le mérite d’être le co-auteur d’une BD qui s’arrache, le Monde sans fin (Dargaud), où est expliquée avec humour et talent l’impasse gigantesque des énergies fossiles. Le Shift Project, depuis 2020, s’est lancé dans rien de moins que la construction d’un plan méthodique de sortie du carbone pour l’économie française, secteur par secteur (agriculture, transports, logement, mais aussi culture, santé, administration, numérique…), en cherchant explicitement à peser dans les débats de 2022, et en mettant l’emploi au cœur de ses préoccupations. Avec l’association Negawatt, dont l’angle est plus énergétique, c’est la structure de la société civile la plus en pointe sur la question d’une transition globale. A elles deux, elles sont une sorte « conférence citoyenne » auto-instituée qui pèse bien plus que l’ensemble des argumentaires de tous les partis représentés pour la présidentielle.

Contrairement aux animateurs des plateaux télé, qui en viennent à fonctionner comme les pires réseaux sociaux, retenant leur public par le cerveau reptilien, les Français ne sont pas obsédés par l’islam, l’identité ou la sécurité. Dans les enquêtes d’opinion, l’environnement arrive régulièrement en tête. Par quel miracle ce thème se trouve-t-il relégué au second plan de la campagne, alors qu’il est l’autre nom de notre avenir? Tout se passe comme si les partis refusaient l’obstacle, et que même le candidat écologiste Yannick Jadot se bridait sur ces thèmes pour se présidentialiser. Pourtant la matière est là, offerte par l’intelligence des chercheurs, des penseurs et des experts. Mais tout se passe comme si les « grands récits » qu’on nous sert visaient à nous endormir plutôt qu’à nous réveiller.

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