Ce serait l’équivalent financier de « l’arme nucléaire ». Exclure Moscou du système Swift, le réseau de transferts d’informations financières le plus utilisé au monde, est le drapeau rouge agité par les Américains. Une sanction qui aurait un fort impact sur le fonctionnement des banques russes, mais aussi européennes.
La menace pèse depuis plusieurs mois mais elle prend une nouvelle consistance depuis l’offensive militaire russe déclenchée jeudi 24 février sur l’Ukraine. Après les premières sanctions financières tombées mardi, les États-Unis et leurs alliés pourraient passer à la vitesse supérieure en plaidant pour l’exclusion de la Russie du système Swift.
Swift est l’acronyme de « Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication ». Créée en 1973, cette société privée basée en Belgique a bâti un réseau titanesque de messagerie ultra-sécurisée dédiée aux opérations financières.
« Swift est un intermédiaire informatique qui n’effectue pas des transferts de fonds mais centralise les ordres de virement entre les clients de différentes banques », précise Yamina Fourneyron, professeure de sciences économiques à l’Université de Lorraine, contactée par France 24. « C’est un outil essentiel pour faciliter et sécuriser les grosses transactions », ajoute la chercheuse au CNRS.
Cette coopérative, qui regroupe plus de 11 000 établissements bancaires dans 200 pays, joue un rôle considérable dans les rouages de la finance internationale. En 2021, le réseau a transmis environ 10,6 milliards d’ordres de paiement à travers le monde.
Techniquement, rien ne s’oppose à l’exclusion des quelque 300 banques et institutions russes de ce système. Pour y parvenir, les pays occidentaux devront faire pression sur l’entreprise et convaincre au moins 13 des 25 membres du conseil d’administration de Swift de prendre une telle décision.
Conséquences « dévastatrices » pour la Russie
Cette sanction, qualifiée par les États-Unis « d’arme nucléaire », ne serait pas une première. Elle a déjà été effective après les essais de tirs de missile de la Corée du Nord en 2017, puis contre l’Iran entre 2012 et 2016 et rétablie en 2018 par Donald Trump. Elle avait été également envisagée contre la Russie lors de l’annexion de la Crimée en 2014.
Les conséquences d’une déconnexion des banques russes seraient « dévastatrices, particulièrement à court terme », explique une note du Carnegie Moscow Center. « Après la déconnexion des banques iraniennes de Swift, le pays a perdu près de la moitié de ses revenus d’exportation de pétrole et 30 % de son commerce extérieur », rappelle le groupe d’experts.
En cas de sanction, le système bancaire russe tournerait au ralenti et les entreprises du pays devraient trouver d’autres moyens pour effectuer des transactions avec l’étranger. « Imaginons un exportateur russe qui souhaite acheter du champagne en France. Il sera bloqué car la banque russe ne pourra pas transmettre l’ordre de virement à la banque française », explique Yamina Fourneyron. « Le commerçant russe devra alors soit payer en cash, soit avoir un autre compte dans une banque connectée à Swift dans un autre pays, en France ou à Chypre par exemple », précise l’économiste.
Pour atténuer l’effet de cette sanction, les banques russes pourront aussi s’appuyer sur un système alternatif de messagerie sécurisée, le Système de transfert de messages financiers (SPFS). Lancé en 2014 par la Banque de Russie après la première menace de déconnexion, le SPFS propose le même service que Swift mais n’est pour le moment utilisé que par une vingtaine de banques étrangères.
Un entrepreneur russe pourra donc théoriquement solliciter une banque indienne, adhérente du SPFS, pour effectuer l’ordre de virement via le système Swift, un établissement bancaire pouvant être membre de plusieurs réseaux de transferts d’informations à la fois.
« Cela sera plus long et plus coûteux dans la mesure où il y a un intermédiaire supplémentaire », détaille Yamina Fourneyron. « Cela va clairement compliquer la vie des entreprises russes mais connaissant la rapidité des innovations financières, l’Inde ou la Chine seront tout à fait capables de proposer des alternatives », assure l’experte.
Une arme à double tranchant pour l’Occident
De fait, l’exclusion de la Russie pourrait encourager le Kremlin à accélérer le développement de ce réseau alternatif de transferts d’informations bancaires au détriment des transactions en dollars réalisées avec Swift.
Si l’hégémonie du billet vert n’est pas remise en cause, l’émergence d’un réseau parallèle ne serait pas une bonne nouvelle pour Washington, d’autant plus que les Russes ont pour ambition d’intégrer leur système avec le service équivalent chinois, le CIPS (Cross-Border Inter-Bank Payments System).
À terme, l’objectif russo-chinois est d’embarquer dans ce nouveau réseau des pays émergents comme l’Inde et l’Iran et d’affirmer leur indépendance vis-à-vis des institutions financières américaines.
Enfin, cette sanction mettrait en difficulté de nombreuses entreprises européennes et notamment françaises comme TotalEnergies ou encore Société générale, solidement implantées en Russie. Depuis plusieurs années, la France est le deuxième investisseur étranger dans le pays et le premier employeur, avec 160 000 salariés.
« Le problème va notamment se poser pour le paiement du gaz russe en Europe. Pour payer les entreprises russes, les Européens devront eux aussi avoir recours à des montages financiers », précise Yamina Fourneyron, faisant augmenter des prix de l’énergie déjà au plus haut.
Fermer la porte de Swift aux banques russes a donc tout d’une arme à double tranchant. Désastreuse pour l’économie russe, cette décision pourrait aussi se retourner contre les Occidentaux. Alors que les marchés financiers s’affolent depuis l’invasion russe de l’Ukraine, les États-Unis vont sans doute réfléchir à deux fois avant d’appuyer sur le bouton rouge de cette « arme nucléaire ».
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