La Biélorussie, le nouvel avant-poste de Moscou pour faire pression sur l’Europe

Rapprochement économique, alliance militaire, « complicité » dans l’invasion de l’Ukraine… La Biélorussie, devenu un état vassal de la Russie, multiplie les signes d’allégeance envers Moscou et pourrait même accueillir une partie de l’arsenal nucléaire russe à la faveur d’une modification de la constitution prévue dimanche.

Avec le Donbass à l’Est et la Crimée au Sud, le Nord est l’autre front du conflit russo-ukrainien : les forces terrestres russes ont pénétré en Ukraine, jeudi 23 février, depuis le territoire biélorusse, pour viser des cibles militaires.

Cette utilisation par Moscou du territoire de son voisin et allié, pour prendre en tenailles Kiev, a été vivement condamné par Washington et les Européens qui ont annoncé de nouvelles sanctions contre le président contesté Alexandre Loukachenko, qualifié de « complice » de l’invasion russe par Emmanuel Macron.

Mais alors que tous les yeux sont légitimement braqués sur ces mouvements de troupes, un autre événement est passé relativement inaperçu : dimanche, le pays s’apprête à modifier sa Constitution et à renforcer considérablement la main mise du président Loukachenko, lui permettant de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2035. Surtout, cette modification effectuée sous la pression du Kremlin, ouvre la voie à la présence d’armes nucléaire sur le territoire biélorusse.

« L’appendice d’un autre pays »
Depuis plusieurs mois, Minsk multiplie les gestes d’allégeance envers Moscou. Peu avant l’invasion russe, le régime biélorusse a notamment affirmé respecter la décision de Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance des « Républiques » de Donetsk et Louhansk.

Le temps où le président Alexandre Loukachenko se voyait en faiseur de paix entre la Russie et l’Union européenne semble aujourd’hui un lointain souvenir.

La Biélorussie a en effet longtemps cultivé une certaine indépendance vis-à-vis du grand frère russe mais la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko en août 2020 a changé la donne. La grogne populaire et la pression occidentale ont consacré le rapprochement avec Moscou qui a soutenu sans réserve la répression brutale des opposants au régime de Minsk.

Depuis, l’intégration de la Biélorussie dans le giron russe a progressé à grand pas. Sur le plan économique, les deux pays ont signé une série d’accords en novembre 2021 pour faire converger leurs législations fiscales et douanières. La création d’un marché du gaz unifié entre les deux pays avant 2023 est aussi à l’ordre du jour.

Mais c’est surtout sur le plan militaire que s’illustre cette convergence. Depuis plusieurs mois, les deux pays ont multiplié les exercices militaires conjoint et la présence de soldats russes s’est largement renforcée. Selon le décompte réalisé par les États-Unis, jusqu’à 30 000 soldats russes sont stationnés en Biélorussie.

Un projet de base aérienne sur le territoire de Minsk est également en discussion. Une manière pour Vladimir Poutine de renforcer son emprise stratégique dans la région mais qui inquiète l’opposition biélorusse en exil. « Nous ne voulons pas être l’appendice d’un autre pays », a lancé mercredi Svetlana Tikhanovskaï, considérée comme la véritable vainqueur de l’élection présidentielle d’août 2020. « Nous voyons la menace d’une occupation lente de notre pays ».

Des armes nucléaires russes en Biélorussie ?
Les craintes des Occidentaux grandissent également autour du déploiement d’armes nucléaires russes sur le territoire biélorusse, rendu possible par une modification de la Constitution.

Ce référendum, organisé dimanche et dont l’issue ne fait aucun doute, doit modifier l’article 18 qui définit la République de Biélorussie comme un « État neutre » qui n’abritera aucune arme nucléaire.

En 1994, peu de temps après effondrement de l’URSS, la Biélorussie, mais aussi le Kazakhstan et l’Ukraine avaient signé le Mémorandum de Budapest et accepté de transférer en Russie les armes nucléaires stockées sur leurs territoires.

« Sur le plan constitutionnel, le déploiement d’armes nucléaires deviendra théoriquement possible. Ce serait la fin de l’équilibre non-nucléaire en Europe de l’Est depuis la fin de la Guerre froide. Cependant, pour le moment, il n’y a pas de volonté russe de le faire », explique à France 24, Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri.

L’OTAN aussi est « une alliance nucléaire »
Selon cette spécialiste de la dissuasion et de la prolifération nucléaire, l’intérêt stratégique pour la Russie de redéployer son arsenal sur le territoire de Minsk serait limité car « à Kaliningrad, enclave russe située entre la Biélorussie, la Pologne et les États baltes, la Russie possède déjà des bombardiers équipés de missiles à double usage, c’est-à-dire capables d’embarquer des têtes nucléaire et des têtes conventionnelles ».

La modification de la constitution du pays permettrait toutefois l’atterrissage de ces bombardiers en Biélorussie ou encore de mener des exercices militaires utilisant ce type d’armement.

Cependant, un déploiement d’armes nucléaires tactiques russes à courte portée, c’est-à-dire prêtes à être utilisées sur le champ de bataille reste « une hypothèse très peu probable », explique Héloïse Fayet. « Cela reviendrait pour la Russie à sacrifier la Biélorussie en la transformant en cible pour l’OTAN ».

Le président Alexandre Loukachenko avait assuré le 17 février que son pays était prêt à accueillir des armes nucléaires « si des « mesures stupides » étaient prises par ses « rivaux et adversaires ».

De son côté, l’OTAN a la possibilité de déployer des armes nucléaires dans certains pays européens à travers le « nuclear sharing agreement » sans violer le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

« Je pense que Vladimir Poutine doit aussi comprendre que l’Alliance atlantique est une alliance nucléaire. Je n’en dirai pas plus », a averti jeudi le ministre française des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian en réponse aux menaces du président russe sur les conséquences de toute ingérence extérieure dans le conflit russo-ukrainien.

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