Entre Russie et Occident, la Chine confrontée au « dilemme ukrainien »

Chinese Foreign minister Wang Yi appears on a screen as he delivers a remote speech at the opening of a session of the UN Human Rights Council, following the Russian invasion in Ukraine, in Geneva, on February 28, 2022. - The UN Human Rights Council voted to hold an urgent debate about Russia's deadly invasion of Ukraine at Kyiv's request, amid widespread international condemnation of Moscow's attack. (Photo by Fabrice COFFRINI / AFP)

Pékin se retrouve dans une position délicate depuis l’invasion de l’Ukraine. Partenaire stratégique de la Russie, la Chine craint de perdre des marchés en Occident en marquant trop son soutien à Moscou. Elle reste prudente dans ses déclarations et observe de près la réponse occidentale, lorgnant elle-même sur le territoire voisin taiwanais.

Qu’elles semblent loin les envolées lyriques entre Pékin et Moscou. Dans une déclaration conjointe publiée le 4 février le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping disaient alors de l’amitié entre les deux pays qu’elle était sans « limites », ne s’interdisant aucun « domaine de coopération ». Depuis, la Russie a lancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine et le ton a changé. La Chine se retrouve désormais dans une position précaire.

Alors qu’Européens et Américains condamnent sans équivoque l’assaut russe contre l’Ukraine et s’unissent pour frapper le Kremlin d’une série de sanctions de grande envergure, la réponse de la Chine aux agressions militaires de son voisin s’apparente à un fragile exercice d’équilibriste.

Se rangeant du côté des Russes, des responsables du ministère chinois des Affaires étrangères ont rejeté dans une déclaration le 23 février la responsabilité des tensions autour de l’Ukraine sur les États-Unis. Suivant la rhétorique de Moscou, ils ont préféré qualifier la guerre en Ukraine d' »opération militaire spéciale » au lieu de la dénoncer comme une invasion au premier jour du conflit.

La situation en Ukraine place la Chine face à un dilemme. D’une part ses dirigeants tentent de préserver les liens croissants mais fragiles avec le partenaire russe. De l’autre, cette guerre place les Chinois en contradiction avec les principes de non-ingérence et de respect de l’intégrité territoriale qui dictent leur politique étrangère – principes qui iraient à l’encontre de l’agression militaire de la Russie contre son voisin.

Double discours de la Chine

C’est dans cette optique que le 25 février, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, déclarait à de hauts responsables européens que la Chine « préconise fermement le respect et la sauvegarde de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les pays […], ce qui s’applique également à l’Ukraine ». Mais dans le même temps, Wang Yi a tempéré ses propos en ajoutant que, compte tenu de « cinq cycles consécutifs d’expansion de l’OTAN vers l’Est », « les revendications légitimes de la Russie en matière de sécurité doivent être résolues de manière appropriée. »

Autre illustration de sa position ambiguë, lorsqu’elle a été invitée à voter le 25 février sur une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies dénonçant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Chine s’est abstenue, laissant Moscou opposer son veto seul. Lors d’un appel téléphonique entre Xi et Poutine le même jour, le président chinois n’a pas approuvé l’assaut contre l’Ukraine, mais a déclaré qu’il était favorable à ce que « la Russie et l’Ukraine résolvent ce problème par le dialogue », a rapporté la télévision d’État chinoise.

Le premier partenaire commercial de l’Ukraine

Si Pékin et Moscou se sont rapprochés ces dernières années, les experts estiment que ce partenariat est loin d’être inconditionnel, la Chine se montrant peu encline à afficher un soutien sans équivoque à la Russie.

En effet, les intérêts économiques de Pékin restent profondément liés à l’Occident – et même à l’Ukraine – malgré des liens qui s’effilochent et des tensions idéologiques. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’UE en 2021. En Ukraine, elle est même passée devant la Russie en 2019 devenant ainsi le premier partenaire commercial de Kiev.

Côté russe, les effets des sanctions internationales destinées à paralyser l’économie russe commencent à se faire sentir. Moscou pourrait donc se tourner vers la Chine pour tenter d’atténuer leur impact. Mais le pays n’a jusqu’à présent montré aucune volonté  d’aider la Russie à échapper aux sanctions occidentales. Pour les Chinois, le risque de perdre l’accès aux marchés occidentaux est trop grand. Et les banques d’État chinoises ont commencé à restreindre l’achat de matières premières russes, conformément aux sanctions contre la Russie. Au lieu de cela, la Chine a déclaré qu’elle poursuivrait une « coopération commerciale normale » avec à la fois la Russie et l’Ukraine.

« La Chine veut préserver ses liens avec Moscou, respecter ses principes et éviter dégrader ses relations avec les États-Unis et l’Union européenne », a résumé au Washington Post Bonnie Glaser, directrice du programme Asie du German Marshall Fund of the United States.

Mais la réponse coordonnée et sans précédent de l’Occident face à l’agression russe pourrait venir compliquer l’exercice d’équilibriste auquel se livre la Chine.

Chine et Russie : des intérêts territoriaux similaires

Par ailleurs, plusieurs experts des relations sino-russes ont relevé des parallèles entre les programmes expansionnistes de la Chine et de la Russie. C’est le cas du souhait des autorités chinoises de réaliser la « réunification » avec Taïwan, par la force si nécessaire.

Ainsi Ming Jinwei, rédacteur en chef de l’agence de presse publique chinoise XinHua, a écrit sur son blog WeChat qu’il était dans l’intérêt de la Chine d’apporter un soutien, même lointain, à la Russie dans la crise ukrainienne, car Pékin aura besoin du soutien de Moscou pour asseoir sa domination sur Taïwan.

La Russie s’est déjà positionnée très clairement aux côtés de la Chine au sujet de Taïwan. Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères du pays, avait déclaré l’an dernier que « la Russie considère que Taïwan fait partie de la République populaire de Chine. »

La Chine scrute la réponse occidentale en Ukraine

Aussi, Taïwan suit de très près l’évolution de la situation en Ukraine. Et ce n’est pas un hasard si une délégation d’anciens cadres de l’armée et de services de sécurité américains envoyée par le président Joe Biden s’est rendue sur l’île le 1er mars. Un geste qui a rassuré le gouvernement taiwanais.

Un geste que la Chine n’a pas apprécié. Un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a qualifié de « futile » ce nouveau soutien américain à Taïwan. « La volonté du peuple chinois de défendre notre souveraineté nationale et notre intégrité territoriale est inébranlable », a déclaré Wang Wenbin lors de son point presse quotidien. Les responsables chinois ont par ailleurs utilisé les mêmes termes pour exprimer le respect du pays pour la souveraineté de l’Ukraine.

Pour Zsuzsa Anna Ferenczy, experte des relations internationales de la Chine, interrogée par France 24, les autorités chinoises guettent la réponse occidentale à l’invasion russe de l’Ukraine pour voir jusqu’où les Occidentaux peuvent aller. « Les États membres de l’UE agissent avec détermination, ce que peu attendaient d’un bloc souvent considéré comme divisé et faible. Il est important que Pékin suive cette évolution, pour voir jusqu’où et à quelle vitesse les Européens peuvent et veulent agir au cas où la Chine modifierait le statu quo avec Taïwan. »

Des habitants de Taïwan et des slaves de Taiwan protestent contre l'invasion militaire de l'Ukraine par la Russie, à Taipei, le 25 février 2022.

Des habitants de Taïwan et des slaves de Taiwan protestent contre l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie, à Taipei, le 25 février 2022.
 

À Taipei, où la guerre en Ukraine prend donc une résonance toute particulière, plusieurs jours durant, des dizaines de personnes ont manifesté leur soutien aux Ukrainiens.

« Le Parti communiste chinois doit observer avec anxiété la résilience du peuple ukrainien, qui a obtenu un soutien et une solidarité de la part du peuple taiwanais. C’est une raison supplémentaire pour la Chine de reconsidérer ses projets concernant Taïwan », conclut Zsuzsa Anna Ferenczy.

france24

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