Face à ces obstacles logistiques, la ville de Kharkiv joue un rôle stratégique majeur. La deuxième ville d’Ukraine, peuplée de 1,4 million d’habitants, est, en effet, située à seulement une trentaine de kilomètres de la frontière russe, « aux mains des Russes, elle pourrait devenir un nouveau relai stratégique pour le transport des armes, du carburant et du ravitaillement », estime Dominique Trinquand. « Selon moi, c’est pour cela qu’ils optent pour une stratégie différente de Kiev et qu’ils l’attaquent frontalement et brutalement. »
Depuis mardi, la ville subit des tirs d’artillerie à répétition. Roquettes, missiles et bombes tombent en continu faisant des dommages considérables. Selon le gouverneur de la région, on dénombre, jeudi 3 mars, une vingtaine de morts parmi les civils.
« Kharkiv a aussi une importance symbolique. Moscou ne croyait pas que cette ville russophone considérée comme pro-russe ferait autant de résistance », ajoute Cédric Mas. « Et en optant pour une offensive brutale, la Russie joue aussi sur la carte psychologique. Une grande partie de cette guerre se joue sur le plan moral, à savoir qui craquera en premier. »
Une percée dans le sud du pays
Si l’armée russe ne parvient pas à avancer aussi vite qu’elle le voudrait dans l’est et dans le nord de l’Ukraine, un autre front s’est aussi ouvert dans le sud, où l’armée russe tente de prendre le contrôle de toute la façade de la Mer noire.
Jeudi matin, les autorités ukrainiennes ont ainsi confirmé que la ville de Kherson, située non loin de la péninsule de Crimée annexée en 2014 par Moscou, était désormais aux mains des Russes. En parallèle, les bombardements se sont intensifiés à Marioupol, le principal port ukrainien sur la mer d’Azov. « Ce sont des lieux très stratégiques. En prenant le contrôle de ces villes, les Russes créent un corridor avec la Crimée et le Donbass et assurent leur contrôle sur toute la mer d’Azov », explique Dominique Trinquand.
« Le prochain objectif pourrait ainsi être la ville d’Odessa, qui reste pour le moment relativement épargnée », juge l’ancien militaire. « Ce serait une très bonne prise. Le port est responsable de la grande majorité de l’approvisionnement maritime de l’Ukraine et ouvrirait une nouvelle porte pour l’envoi de matériel et de soldats… »
« Le coût humain sera dramatique »
Ainsi après la déconvenue des premiers jours, l’armée russe semble avoir une nouvelle priorité : préparer une percée militaire à Kiev, avec une force de frappe bien plus importante et de meilleurs soutiens logistiques derrière la ligne de front pour leur permettre de tenir un siège si nécessaire.
« Je crains que nous tombions progressivement dans une guerre d’usure », conclut, quant à lui, Philippe Gros. « Projeter la logistique nécessaire, adapter les forces à cet engagement de haute intensité, cela nécessite une réorganisation complète. Parallèlement, les forces russes vont de toute évidence employer une puissance de feu de plus en plus massive.
En mobilisant ses forces aériennes et son artillerie dans la conquête de ces villes, l’armée russe semble en effet avoir fait entrer la guerre dans une nouvelle phase, où elle n’hésite plus à lancer des offensives brutales sur des zones urbaines ou des centrales nucléaires. « Le conflit risque de s’enliser et le coût humain sera dramatique », alerte Cédric Mas. « Il ne faut pas s’y tromper, même s’il dément, s’en prendre aux civils fait partie de la stratégie de Poutine. En semant la terreur, il est sûr de faire pression sur les négociations. »
« Globalement, il y a trois options pour la suite », résume Dominique Trinquand. » La première, la solution dramatique, consiste à prendre Kiev par la force. L’autre serait de sortir par la petite porte via l’adoption d’un cessez-le-feu : cela serait vécu comme une victoire pour Poutine qui pourrait garder une mainmise sur les territoires gagnés dans le sud. Dernière option, que le conflit dure et que le poids des sanctions ne l’ébranle dans son pays… »
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