Sergueï Choïgou et Valéri Guerassimov, les maîtres de guerre de Vladimir Poutine

insi, sous Boris Eltsine, il s’est fait connaître au poste de ministre des Situations d’urgence. Au tournant du XXIe siècle, cet organisme était devenu un véritable petit État dans l’État, avec plus de 350 000 hommes et même une police spécifique prête à se déployer au moindre incendie sur le sol russe. Un ministre très actif qui ne manquait pas de se déplacer sur les lieux d’un drame, ce qui lui a valu une forte popularité… et le titre de dauphin de Boris Eltsine.

Mais c’est Vladimir Poutine qui a pris le pouvoir en 2002. Sergueï Choïgou n’a pas eu l’air d’en prendre ombrage et s’est immédiatement mis au service du nouvel homme fort du Kremlin. Il a notamment dirigé le parti Russie unie, à la solde de Vladimir Poutine, afin de cimenter l’emprise du président sur le jeu politique russe.

Sergueï Choïgou a aussi invité plusieurs fois Vladimir Poutine dans sa maison à Touva, où il a organisé de très médiatiques parties de pêche.

Il n’est cependant pas qu’un courtisan hors pair. Sergueï Choïgou est décrit comme le responsable d’une vaste modernisation de l’armée russe, souligne le Guardian britannique. C’est aussi lui qui, en tant que ministre de la Défense, a supervisé le très redouté GRU – le service de renseignement militaire russe – qui est soupçonné d’avoir multiplié, dans les années 2010, les opérations d’assassinat en Europe. À commencer par la tentative d’empoisonnement à Salisburry (Angleterre) de l’ex-agent double Sergueï Skripal en 2018…

L’actuel chef d’état-major des armées est un mythe. Non pas que Valeri Guerassimov n’existe pas. Ce militaire de carrière né en 1955 à Kazan – l’une des villes les plus peuplées de Russie après Moscou – a bel et bien servi dans les divisions blindées de l’armée rouge sur tout le territoire de l’ex-Union soviétique.

Valeri Guerassimov a également été l’un des commandants de l’armée du Caucase du Nord durant la seconde guerre de Tchétchénie (1999-2009). À cette occasion, il s’est attiré les louanges de la célèbre journaliste et critique du pouvoir russe Anna Politkovskaïa – assassinée en 2006 – qui a dit de lui qu’il était l’exemple “d’un homme qui a su préserver son honneur d’officier” durant cette guerre, a raconté la BBC en 2012. Son fait d’armes : avoir fait arrêter et condamner un soldat russe accusé d’avoir brutalisé et assassiné une jeune tchétchène durant le conflit.

Et il ne fait nul doute que c’est ce général, décrit par Sergueï Choïgou comme un “militaire de la tête à la pointe des pieds”, qui est le chef d’état-major de toutes les armées russes depuis 2012. C’est lui qui a mené les opérations en Ukraine en 2014, en Syrie et aujourd’hui de nouveau en Ukraine.

Mais sa renommée internationale repose sur un mythe, ou plus exactement un malentendu. Valeri Guerassimov est considéré comme le père d’une doctrine militaire qui, en réalité, n’existe pas ou a été mal comprise. C’est lui qui serait l’inventeur de la “guerre hybride” russe, celle qui mélange le recours aux armes conventionnelles à des méthodes non-militaires – comme la désinformation, ou les cyberattaques – pour préparer le terrain aux soldats. Il existe même une “doctrine Guerassimov” pour désigner cette approche militaire.

Sauf que l’inventeur de ce terme, le spécialiste britannique des questions militaires russes Mark Galeotti, a maintes fois tenté de rectifier le tir, assurant qu’il n’existait pas de telle doctrine officielle en Russie. Et que Valeri Guerassimov n’a, de toute façon, rien d’un théoricien de la guerre.

Tout vient à l’origine d’un discours prononcé par ce dernier en 2013, dans lequel il assure que la “frontière entre les temps de guerre et de paix était devenue de plus en plus floue” et que les “moyens non-militaires pour atteindre des objectifs stratégiques avaient gagné en importance”.

Un discours qui, après l’annexion de la Crimée où de tels moyens non-conventionnels (propagande pro-russe en Ukraine, création d’incidents pour justifier des buts de guerre) ont été appliqués, a paru prophétique aux observateurs. 

La “doctrine Guerassimov” venait alors de gagner ses lettres de noblesse et le discours du chef d’état-major était étudié de très près à Washington, raconte le Financial Times.  Sauf que l’analyse de Valeri Guerassimov “ne décrivait pas comment l’armée russe devait agir, mais comment ce militaire pensait que l’Occident opérait”, souligne Ruslan Pukhov, directeur du Centre russe d’analyse des stratégies et des technologies, interrogé par le Financial Times. En clair, Valeri Guerassimov pensait que cette “guerre hybride” était ce que les États-Unis avaient utilisé pour fomenter les printemps arabes et que Washington cherchait à la mettre en pratique contre le pouvoir en place à Moscou.

Ce militaire n’était donc pas le visionnaire et grand stratège que l’Occident redoutait. “Malheureusement, comme le monstre échappé d’un film d’horreur, cette idée d’une doctrine de ‘guerre hybride’ a pris corps dans les cercles d’analystes à Washington et des réflexions entières ont été menées dans lesquelles la ‘doctrine Guerassimov’ fait figure de pièce centrale de ‘théorie du chaos’, selon laquelle la Russie cherchait à semer le désordre mondial”, souligne Michael Kofman, l’un des plus grands spécialistes américains de l’armée russe. Valeri Guerassimov et sa mythique doctrine incarnait le retour du grand méchant russe, “alors qu’il ne l’avait probablement même pas écrit lui-même ce fichu discours”, conclut Mark Galeotti.

france24

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