Droits des femmes en Afrique : Aminata Touré réclame des moyens financiers

À l’occasion du 8 mars, l’ancien Premier ministre du Sénégal invite les dirigeants africains à oser délier les cordons de la bourse pour que les femmes deviennent de véritables actrices de l’émergence économique et sociale du continent.

Tous les ans, le 8 mars replace les femmes – la moitié du ciel – au cœur de l’actualité, pour cette seule et unique journée qui leur est internationalement dédiée. Une fois encore, gouvernants, médias et bien-pensants rappellent la place importante qu’elles occupent dans la société africaine, leur rôle central dans la famille, leur complémentarité indispensable à l’homme et tutti quanti.

Miser sur les femmes

Il va pourtant falloir accélérer la cadence de l’avancement de leurs droits, dans un contexte post-Covid qui révèle une gestion de la pandémie somme toute concluante, le continent n’ayant pas enregistré ces millions de morts que lui prédisaient de nombreux oiseaux de mauvaise augure. En effet, les gouvernements africains ont su mettre à profit leurs expérience et expertise vieilles de plusieurs décennies en matière de lutte contre les épidémies.

Il va falloir renforcer cette confiance en nous pour relancer au plus vite nos machines économiques et donner une nouvelle impulsion à notre développement durable. Pour ce faire, nos dirigeants devront miser sur les femmes en transformant encore plus vite leurs conditions de vie et en leur ouvrant toutes les opportunités qui feront d’elles de véritables actrices de l’émergence économique et sociale de notre continent.

Il est indéniable que les droits des femmes ont connu une progression importante durant ces dernières décennies, grâce au travail inlassable des associations et des mouvements féminins. Ils ont incontestablement fait évoluer les mentalités et influencé les États, qui ont davantage investi dans l’éducation des filles, la santé de la mère et de l’enfant, et ont favorisé l’implication des femmes dans les instances de décision avec des résultats tangibles.

En Afrique subsaharienne, la moyenne régionale de femmes siégeant au Parlement est de 23,7 %

Au Sénégal, par exemple, depuis deux ans, une petite révolution passe inaperçue : pour le concours de l’entrée en classe de sixième consacrant la fin de l’école primaire et l’accès au collège d’éducation moyen secondaire, il y a eu plus de filles présentées à l’examen que de garçons.

Autre avancée : en dépit de fausses croyances,  la fécondité en Afrique est en baisse depuis trente ans : elle est passée de 6,6 à 4,5 enfants en moyenne par femme, avec des écarts importants suivant les régions – en Afrique australe et en Afrique du Nord notamment, la moyenne est de 3 enfants par femme. De plus, par rapport à 1990, dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement, la mortalité des enfants de moins de 5 ans a été réduite de 50 % en 2015.

La représentation des femmes dans les instances de décision a aussi connu des progressions notables. En Afrique subsaharienne, la moyenne régionale de femmes siégeant au Parlement est de 23,7 %, avec des pays-champions comme le Rwanda (61,3%), l’Afrique du Sud (42,7%), la Namibie (46,2%) et le Sénégal (41,8%). Selon le rapport 2019 de la Commission du statut de la femme des Nations unies, par rapport à 2017, davantage de femmes africaines sont en charge de portefeuilles traditionnellement réservés aux hommes, comme ceux de la Défense, des Affaires étrangères et des Finances.

La preuve par … l’argent

Ces avancées sont certes appréciables mais il faut accélérer les changements stratégiques qui propulseront plus rapidement les Africaines dans l’ère de la modernité et de l’égalité. Pour cela, rien de mieux que la preuve par … l’argent. Les budgets nationaux devront être restructurés en vue d’établir des benchmarks traçables mettant en évidence les investissements particulièrement dédiés aux femmes dans les domaines-clé que sont la santé, l’éducation, l’emploi décent, l’accès aux ressources ou la participation effective aux sphères de décision.

Chaque ministère devra dévoiler devant les parlements qui votent le budget national les allocations budgétaires spécifiques consacrées à l’avancement des droits des femmes et des filles. Dans le domaine de la santé, il est important que des lignes budgétaires conséquentes soient consacrées aux programmes de santé de la reproduction afin d’en finir avec la mortalité maternelle et infantile qui, bien qu’en nette baisse, reste la plus forte au monde.

Priorité à l’éducation des filles

Dans de nombreux pays africains, l’accès aux contraceptifs relève encore du parcours du combattant, notamment pour les femmes rurales, sous-informées et éloignées de tout poste de santé.

Il est urgent que les pays africains assurent le financement sur fonds propres des stocks de contraceptifs

Les stocks de contraceptifs restent fortement dépendants des financements extérieurs. Par conséquent, il est urgent que les pays africains en assurent le financement sur fonds propres afin que les femmes du continent puissent choisir plus librement la taille de leur famille. L’éducation des filles doit être une priorité notamment pour ce qui concerne leur maintien dans le système scolaire secondaire et universitaire. Le financement d’internats féminins et de bourses d’études permet de donner plus de chance aux filles issues de milieux défavorisées.

Processus d’industrialisation

L’agriculture est le secteur qui occupe la majorité des travailleurs en Afrique ;  il est donc impératif  de renforcer le leadership des femmes par des allocations budgétaires spécifiques en vue du financement de programmes favorisant leur l’accès à la terre, aux matériels agricoles modernes et aux crédits bancaires pour développer des chaines de valeur agricoles.

Les États devront faire le pari de transformer ces milliers d’entrepreneuses du secteur informel en capitaines d’industrie

Dans le même élan, les Africaines devront être parties prenantes du processus d’industrialisation du continent. Les États devront faire le pari de transformer ces milliers d’entrepreneuses du secteur informel en capitaines d’industrie. Par exemple, les braves « nanas-benz » du marché de Cotonou,  oligarques de la vente et revente du textile importé, devraient passer à l’étape de chefs d’industrie de fabrication du textile.

En matière de participation aux instances de décision, il est temps que l’Union africaine consacre l’obligation de la parité absolue à tous les postes électifs et nominatifs. Ce ne serait que justice puisque nous sommes, hommes et femmes, égaux en droits et obligations, suivant les Constitutions que nous nous sommes choisies.

jeuneafrique

5 Commentaires
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