Consultant en relations internationales, Aly Fari Ndiaye décrypte la diplomatie funambule de Dakar face à l’invasion ukrainienne par la Russie. Pour le consultant, le refus de Dakar de soutenir le combat de l’Union européenne contre Moscou, montre que le Sénégal ne suit plus de manière aveugle la France. Aly Fari Ndiaye soutient que la neutralité a été la meilleure position que le Sénégal pouvait adopter dans ce conflit Ukraine-Russie. Une guerre qui ne le concerne pas directement.
Neutralité du Sénégal. «Dans cette situation de conflit en Ukraine, aucun pays ne veut affronter frontalement la Russie. Même ceux qui sont contre cette invasion essayent de soutenir directement l’Ukraine et combattent indirectement la Russie. Les gens ont beaucoup de craintes par rapport à la capacité militaire de la Russie. Aujourd’hui, la position de neutralité est celle qui confère au Sénégal le statut de médiateur. Quand on est allié à quelqu’un, il est difficile d’être un médiateur. C’est peut-être cette position de neutralité qui a poussé Poutine à accepter de parler avec le Président Macky Sall (hier, Ndlr). C’est donc une position sage, d’autant que c’est une guerre qui ne nous concerne pas directement. Et je vois mal soutenir un régime Ukrainien qui est en train de montrer un racisme exacerbé.
On n’y gagne donc rien du tout. Le Sénégal a adopté la position idéale. Ça lui permet d’être dans une position équilibriste et demain de ne pas être dans le camp de ceux qui seront vus comme des «Hotliners (la ligne dure)». C’est quelque chose de très important. Deuxièmement, la Russie étant à nos portes au Mali, il y a les craintes d’une action qui serait due à notre implication dans un camp ou dans un autre et qui pourrait être fatale au Sénégal directement ou indirectement. Troisièmement, le statut de président de l’Union africaine fait que le président de la République, Macky Sall doit être dans une position modérée jusqu’à ce que l’Afrique ait une attitude commune sur la question. Toute autre position du Président Macky pourrait être vue comme une attitude qui est dissociable avec celle du Sénégal. On ne pourra pas faire la différence entre la position du Sénégal et celle de Macky Sall Président en exercice de l’Union africaine.»
Refus de Dakar de soutenir l’Ue. «C’est une bonne stratégie pour le Sénégal de ne pas s’aligner derrière l’Union européenne (Ue). Ça montre enfin des positions autonomistes du Sénégal. Cela montre que le Sénégal ne suit pas de manière aveugle tout ce que fait l’Union européenne. D’autant plus que dans cette affaire, l’Europe en soi ne veut pas frontalement affronter la Russie. L’Allemagne hésite encore à couper les relations économiques avec les Russes qui vont impacter le pétrole et le gaz qu’elle importe de la Russie. C’est un problème de souveraineté intérieure au niveau de l’Allemagne. La France aussi est dans une situation où sa position peut évoluer avec le résultat de la prochaine élection Présidentielle. Donc la position du Sénégal est celle qui rassure et qui montre qu’il peut prendre des décisions comme il l’a toujours fait et qui vont dans le sens de ses intérêts, mais aussi des préoccupations de l’Afrique. Parce que si le conflit perdure et s’exacerbe, qui va perdre le plus ? C’est l’Europe.
Parce que dans cette affaire, l’Europe est plus faible militairement que la Russie qui, à partir de ses territoires, peut atteindre Paris, Berlin… Militairement, c’est l’Europe qui va perdre. Et si c’est l’Europe qui perd dans cette affaire, c’est la Chine qui pourrait en bénéficier économiquement. Comme du reste l’Amérique avait laissé la première et la deuxième Guerre mondiale comme étant une guerre européenne jusqu’à ce que l’Europe s’auto-dessine pour que l’Amérique puisse profiter de ça et reconstruire son économie. La neutralité est la meilleure position pour le Sénégal et l’Afrique. Elle permet d’être en pole position pour se repositionner dans l’échiquier géopolitique mondial d’après-guerre.»
Influence russe. «Il serait difficile de dire que la Russie tient quelque part le Sénégal. Mais aujourd’hui, il est clair que la Russie tient quelque part les voisins du Sénégal. Si on voit ce qui se passe en Centrafrique et à côté, au Mali, avec la présence du groupe Wagner, on peut imaginer facilement que la Russie est à nos portes. En cas de situation d’instabilité, ce n’est pas la France qui se prépare à la Présidentielle qui va intervenir, vu les conséquences avec le Mali. C’est une position préventive qui permet au Sénégal de jouer son rôle de médiateur. Le Sénégal va participer au processus en tant que médiateur stratégique. Cela explique même le fait que Poutine accepte d’échanger avec le Président Macky Sall. Est-ce que Poutine accepterait de parler avec Macky Sall si le Sénégal s’était rangé complétement derrière l’Union européenne ? Il faut comprendre aussi qu’une bonne partie des cadres sénégalais ont été formés en Russie. Le Président Macky Sall lui-même, ses premières convictions politiques étaient pro-russes et pro-chinoises avant qu’il ne soit libéral.»
Ce que le Sénégal gagne. «La position du Sénégal est la plus sûre, la plus diplomatique et qui peut évoluer à tout moment. Et si Poutine accepte la demande du Président Macky Sall, cela peut être un grand coup diplomatique pour le Sénégal, d’autant plus que les derniers accords que l’Ukraine a eus avec la Russie semblent plus ou moins évolutifs. Le Sénégal a eu la bonne position. Il a discuté avec Poutine au bon moment. Car en diplomatie, rien ne vaut en dehors du contexte. Maintenant, il est évident que le repositionnement du Sénégal à avoir l’Afrique comme un interlocuteur privilégié dans ce conflit qui est vu comme celui de l’ouest, est un bon coup diplomatique. Aujourd’hui, il n’y a que l’Afrique qui peut jouer un rôle de vrai médiateur dans ce conflit. Toutes les autres puissances sont positionnées. Il n’y a que les pauvres pays qui ne sont pas alignés comme le Sénégal qui peuvent jouer ce rôle de médiateur. Le Sénégal est très crédible pour jouer ce rôle.»
lobs
1 Commentaire