Lionel, 33 ans, est éleveur de porc depuis vingt ans. S’il exerce un métier qui le passionne, il est frappé par les difficultés économiques de sa profession et par sa dévalorisation dans la société.
Ils sont professeurs, avocats, intermittents du spectacle, agriculteurs… Après deux ans de pandémie, une nouvelle réforme ou une crise économique, en quoi leur quotidien professionnel a-t-il changé ? Comment, aujourd’hui, ces femmes et ces hommes aimeraient exercer leur métier ? A quelques semaines de l’élection présidentielle, « l’Obs » leur donne la parole.
En référence à l’anaphore utilisée par François Hollande pendant l’entre-deux-tours de l’élection en 2012, cette série d’articles souhaite interpeller les candidats et candidates sur la réalité de ces professions.
Lionel Fouche a grandi dans l’exploitation porcine familiale. Plus jeune, il a donné des coups de main à son père, au début avec les animaux puis, avec l’âge et l’expertise, avec les machines, le bricolage, la conduite des tracteurs… A 33 ans, cela fait maintenant dix ans qu’il est installé en Gaec (Groupement agricole d’exploitation en commun), qui réunit historiquement les exploitations de son père, de ses frères et plus récemment de son cousin.
« Notre exploitation est en polyculture élevage, porc-ovin, mais je travaille principalement sur les porcs et les cultures », explique-t-il. « Tous les jours, je commence à travailler à 7h30, je m’occupe de la méthanisation [qui permet de transformer les effluents d’élevage en électricité, NDLR], puis de la porcherie. On se répartit le travail avec mes deux salariés, et après l’entretien et les travaux extérieurs l’après-midi, la journée se termine généralement aux alentours de 19 h 30 ».
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Son métier le passionne pour autant, lui qui rappelle fièrement que « l’agriculture, c’est un pilier de la vie humaine » :
« J’exerce mon métier par passion, pas pour l’argent. J’aime travailler avec le vivant, avec les animaux, le végétal, c’est une profession très enrichissante dans laquelle on apprend tous les jours ».
« On perd autour de 30 euros par porc produit »
Mais cet amour pour son métier, confie-t-il, est parfois remis en question. Avant le Covid déjà, les éleveurs de porcs étaient en difficulté. Mais depuis, c’est une véritable crise que traverse la profession. Face à des produits dont le prix n’a pas bougé, les matières premières – nécessaire pour nourrir les animaux par exemple – s’envolent : là où la tonne de blé valait autour de 110 ou 120 euros il y a 10 ans, elle se vend aujourd’hui à 400 euros, alors qu’un kilo de cochon s’échange au même prix qu’il y a vingt ans (environ 1 euro 35 le kilo), énumère-t-il. « Aujourd’hui, on perd autour de 30 euros par porc produit »
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le prix des céréales a presque doublé, et le prix du gasoil, nécessaire pour les machines, flambe. « Le Covid nous a mis la tête sous l’eau. Mais avec la guerre russe, c’est du jamais-vu », s’alarme Lionel Fouche.
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Autant de difficultés qui l’empêchent d’exercer son métier comme il le souhaiterait, d’entretenir ses bâtiments, d’avancer technologiquement pour optimiser son exploitation et mieux préserver l’environnement. Et qui ne sont pas sans affecter son moral :
« Quand je rentre le soir, que j’ai passé ma journée à perdre de l’argent, c’est difficile d’être joyeux, d’avoir la tête à s’amuser avec sa famille. Alors on se couche en espérant du mieux pour le lendemain. »
Pour s’en sortir, Lionel Fouche contracte des crédits à court terme qui correspondent aux aides de la PAC (Politique agricole commune) touchées en fin d’année, et s’appuie sur les revenus que lui apporte son exploitation d’ovins. S’il n’a pas reçu d’aide pendant le Covid, il a bénéficié début 2022 d’un prêt garanti par l’Etat, et espère beaucoup de l’enveloppe de 270 millions d’euros annoncée par le gouvernement pour faire face à la crise qui frappe les éleveurs de plein fouet.
La profession souffre d’un problème de main-d’œuvre, met-il également en garde. « Mon père a pris sa retraite cet automne, et nous n’avons trouvé personne pour le remplacer. Ce n’est pas faute d’avoir diffusé des offres d’emploi », déplore-t-il. Dans le Lot, 50 % des éleveurs ont plus de 50 ans : que se passera-t-il lorsqu’ils devront passer la main et que personne ne sera là pour reprendre leur exploitation ?
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Ce manque de vocations chez la génération l’attriste mais il le comprend, lui qui, après un BTS agricole, travaille plus de 70 heures par semaines pour gagner à peine 1 000 euros par mois. « C’est un travail contraignant économiquement, personnellement, qui ne rémunère pas… Quand vous présentez ça à un jeune alors qu’il pourrait se tourner vers un métier où il toucherait 2 000 euros par mois en 35 heures et avec six semaines de congés payés… », soupire le jeune agriculteur.
« On a les outils, pas les moyens »
Lionel pointe aussi du doigt « l’agribashing », se désole de voir des militants antispécistes s’en prendre à sa profession, dénonce le manque de reconnaissance de son métier qui est « totalement dévalorisé ».
« Pendant les premières semaines de la pandémie, face aux rayons vides, on a été salués, on nous a demandé de produire plus, et puis on nous a vite oubliés, le Covid s’est installé. »
« Mais fini l’agribashing, aujourd’hui on nous demande de produire plus pour sauver la planète, et avec la guerre en Ukraine, la question de l’indépendance agricole est plus que jamais évoquée », relève-t-il. Avec la population qui ne cesse de s’accroître, les appels à produire plus se multiplient mais « on a les outils, pas les moyens », s’agace-t-il.
Lionel appelle les Français à mieux reconnaître le travail des agriculteurs, qui se cache parfois derrière une simple barquette de jambon. Et enjoint consommateurs et distributeurs à soutenir la filière porcine française, en poussant notamment pour le label Le Porc français. « Ce qui est malheureux, c’est qu’on ne demande que quelques centimes en plus sur notre produit. Et je suis sûr que les consommateurs sont prêts à les mettre pour manger du porc français et savoir que les éleveurs se portent bien ».
« Quand un agriculteur nous demande de l’aide, c’est qu’il est au bout du rouleau »
Face au réchauffement climatique, à l’augmentation de la population mondiale, l’agriculture devrait être un enjeu majeur des discussions politiques et de l’avenir, souligne-t-il. La campagne présidentielle, quant à elle, est loin de le convaincre. Il attend encore de voir les répercussions des réformes du quinquennat Macron, notamment avec la loi Egalim 2 – après une première loi qui n’a « pas servi à grand-chose » – qui entend œuvrer pour une « juste rémunération des agriculteurs ».
S’il pouvait s’adresser au futur président ou à la future présidente ? « Je l’inviterais à passer trois semaines avec un agriculteur, sans équipe, sans média. Qu’il vive à notre rythme, qu’il fasse l’expérience de ce train de vie, de sa masse de travail, de ses contraintes administratives, de son impact sur la vie familiale. »
nounelobs
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