Moscou aurait demandé à Pékin de lui venir en aide militairement, ont rapporté plusieurs médias américains. Ce risque d’un rapprochement militaire sino-russe est même au menu de la rencontre, lundi, entre des responsables américains et chinois. Pourtant, difficile de savoir ce que la Chine pourrait fournir comme aide à la Russie et si elle y verrait un quelconque avantage.
C’est le nouveau spectre brandi par les États-Unis : un axe militaire Russie-Chine pour en finir au plus vite avec l’Ukraine. Moscou a demandé de l’aide militaire à Pékin, ont affirmé plusieurs médias américains, citant des « responsables » de l’administration Biden. La Chine aurait « répondu », d’après CNN, mais sans spécifier dans quel sens.
« Nous faisons très attention au niveau et à la forme du soutien que la Chine apporte effectivement à la Russie », a affirmé Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis. Ce dernier doit rencontrer à Rome, lundi 14 mars, Yang Jiechi, le directeur de la Commission centrale des affaires étrangères du Parti communiste chinois, pour mettre les points sur les « i » concernant la position chinoise à l’égard de l’invasion russe de l’Ukraine.
« Partenariat sans limite » entre la Chine et la Russie ?
« Nous faisons savoir directement et en privé à Pékin qu’il y aurait des conséquences pour n’importe quel pays qui fournirait un soutien à la Russie pour l’aider à surmonter les sanctions imposées par la communauté internationale », a précisé Jake Sullivan.
Après plus de quinze jours de combats, aux termes desquels la Russie n’a toujours pas réussi à prendre le contrôle de l’Ukraine, un renfort militaire venu de Chine aurait de quoi inquiéter les alliés de Kiev. Après tout, Pékin et Moscou ont, au fil des ans, renforcé leur coopération militaire au point qu’une « alliance » entre les deux pays avait été évoquée à l’automne 2021, après des exercices militaires communs dans le nord de la Chine.
Juste avant le début de la guerre en Ukraine, la Chine avait soutenu l’idée d’un « partenariat sans limites » dans un document signé avec la Russie, perçu comme un signal indiquant qu’un front anti-Occident était en train de se former autour de ces deux puissances.
Pékin n’a pas manqué de nier en bloc les accusations d’un rapprochement militaire. « C’est de la désinformation américaine », a réagi Zhao Lijian, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, cité par le Financial Times.
Au-delà des démentis chinois, les allégations américaines ont « de quoi surprendre », affirme Zeno Leoni, spécialiste des relations internationales de la Chine au King’s College de Londres, contacté par France 24. D’abord, parce que le type de soutien que la Chine pourrait fournir à la Russie interroge. « L’information qui circule en ce moment n’est pas claire. Est-ce qu’on parle d’un soutien opérationnel, de livraisons d’armes ou encore d’équipement ? », souligne Antoine Bondaz, spécialiste de questions de sécurité chinoise à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par France 24.
En outre, c’est la Russie qui livre traditionnellement des armes et fournit du savoir-faire militaire à la Chine, « et non pas l’inverse », rappelle Zeno Leoni. Moscou a même considérablement augmenté ses ventes d’armes à Pékin ces dernières années.
L’Armée populaire de libération chinoise « a aussi cherché à gagner en expérience opérationnelle ces dernières années en faisant des exercices avec l’armée russe », rappelle Zeno Leoni.
Des munitions ou des drones ?
Mais cela ne veut pas dire que la Chine n’aurait absolument rien à fournir à Moscou pour l’aider. D’abord, « la Russie commence à manquer de missiles de croisière et de munitions pour ses chasseurs », affirme Gustav Gressel, spécialiste des questions militaires russes au Conseil européen des relations internationales, contacté par France 24. Deux domaines dans lesquels la Chine pourrait, en théorie, renflouer la machine de guerre russe.
Pékin a aussi dépensé bien plus que la Russie pour moderniser son armée à marche forcée. À tel point que l’armée chinoise a dépassé son grand frère russe dans quelques domaines. « C’est notamment le cas dans le domaine des drones, des petits navires de combat ou encore de la technologie de missiles hypersoniques », énumère Zeno Leoni.
Pas sûr que ces armes sophistiquées soient ce qui manquent le plus à la Russie actuellement. « La Russie semble moins souffrir d’un problème de supériorité technologique ou d’armement que d’un souci d’organisation, de moral et de communication », note le chercheur du King’s College de Londres.
À la limite, les drones chinois pourraient « servir à soutenir les troupes au sol lors des combats en ville qui vont s’intensifier », note Zeno Leoni. Mais encore faut-il « disposer des pilotes qui savent manier ces engins », nuance Helena Legarda, spécialiste des questions de défense chinoise au Mercator Institute for China Studies (Merics) de Berlin, contactée par France 24. Si les soldats russes doivent passer des semaines à se familiariser avec ces drones, ils ne seront pas d’un grand secours dans une guerre que la Russie cherche à terminer rapidement.
Mettre la Chine dans l’embarras
Même pour les équipements faciles à utiliser sans entraînement, comme des camions ou des fusils, « la Chine n’a aucun intérêt à les envoyer à la Russie », estime Antoine Bondaz. « Elle a fermement condamné la livraison d’armes à l’Ukraine par les pays occidentaux, je ne vois pas Pékin se contredire et faire pareil avec la Russie », souligne ce spécialiste de la Chine.
« Pékin essaie depuis le début de la guerre en Ukraine de se montrer aussi neutre que possible, tout en essayant de maintenir sa proximité diplomatique avec la Russie. Mais en livrant des armes, la Chine choisirait clairement son camp, ce qui aurait un coût politique important, en dégradant notamment ses relations avec l’Europe », résume Helena Legarda.
Guerre en Ukraine
Envoyer des équipements militaires à la Russie comporte aussi un risque technologique pour Pékin. « Si on parle de drone ou de missile, par exemple, la Chine ne serait sûrement pas ravie à l’idée que ces armes avancées risquent de se retrouver entre les mains de l’Ukraine ou de l’Europe [qui pourront ainsi les étudier] », estime la spécialiste du Merics.
Ce n’est pas seulement la Chine qui n’a pas intérêt à livrer d’armes à la Russie. Moscou aurait aussi beaucoup à perdre dans cette affaire. « Ce serait un énorme aveu de faiblesse pour l’armée russe car cela signifie qu’elle n’est pas capable de venir seule à bout de l’Ukraine », note Antoine Bondaz.
Il ne serait pas étonné que Washington ait laissé « fuiter » ces informations à dessein pour « distiller le doute dans l’esprit des militaires russes et créer un sentiment d’échec ».
Ces informations « mettent aussi Pékin dans l’embarras juste avant la rencontre entre Jake Sullivan et Yang Jiechi », poursuit Antoine Bondaz. Les États-Unis pourraient chercher à utiliser ses allégations d’une requête russe d’assistance militaire pour « forcer la Chine à dire officiellement qu’elle ne fournit pas d’armes à Moscou », estime Helena Legarda. Il y a alors deux scénarios : soit la Chine fournit clandestinement du matériel à la Russie et si elle se fait prendre la main dans le sac, elle sera décrédibilisée sur la scène internationale. Soit elle y réfléchissait, et en étant obligée de prendre position publiquement, elle aura plus de mal à agir ensuite autrement. Dans les deux cas, c’est une bonne affaire pour Washington.
afp
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