Vague de chaleur en Antarctique : un pas de plus vers le réchauffement climatique

A frozen section of the Ross Sea is pictured at the Scott Base in Antarctica Saturday, Nov. 12, 2016. U.S. Secretary of State John Kerry became the highest-ranking American official to visit Antarctica when he landed for a two-day trip on Friday. He's been hearing from scientists about the impact of climate change on the frozen continent. (Mark Ralston/Pool Photo via AP)

En fin de semaine dernière, les températures ont battu tous les records de chaleur aussi bien en Antarctique qu’en Arctique. Non loin du pôle Sud, elles étaient jusqu’à 40 °C supérieures aux moyennes saisonnières. Des hausses liées aux caprices des “rivières atmosphériques”.

Des températures allant jusqu’ 40 °C au-delà des normales saisonnières en Antarctique et entre 20 et 30 °C de plus que d’habitude à certains endroits en Arctique. Les deux régions polaires ont connu simultanément une vague de chaleur inédite aux alentours du vendredi 18 mars. « Une telle coïncidence est très inhabituelle », reconnaît Julienne Stroeve, spécialiste du climat polaire à l’University College de Londres, contactée par France 24.

C’est la montée en flèche du thermomètre en Antarctique qui a attiré l’attention des scientifiques en premier. « Les températures enregistrées, même sur le plateau Antarctique [situé à plus de 2 000 mètres d’altitude en moyenne], étaient absolument absurdes », souligne Jonathan Wille, postdoctorant et spécialiste de la météo et du climat en Antarctique à l’Institut des géosciences de l’environnement à l’Université Grenoble Alpes, contacté par France 24.

À plus de 3 000 m d’altitude, -11,5 °C au lieu de -40 °C
Il faisait ainsi plus qu’anormalement doux à la station Concordia qui se trouve à plus de 3 000 mètres d’altitude dans l’est de l’Antarctique. La température est, en effet, montée à -11,5 °C alors qu’il fait généralement plutôt entre – 40 °C et – 50 ° C dans cette région à cette période de l’année.

« La barrière topographique formée par le dénivelé dans l’est de l’Antarctique fait que le climat y est très stable et les températures ne devraient jamais dépasser les -30 °C », explique à France 24 Martin Siegert, un glaciologue à l’Imperial College de Londres qui n’en revient pas des relevés de températures réalisés dans cette partie du globe la semaine dernière.

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En 65 ans d’observations météorologiques dans cette partie proche du pôle Sud – qui se trouve à plus de 4 000 km de l’Australie -, un tel pic de chaleur ne s’était jamais produit. Mais le thermomètre est resté sous les 0° C, ce qui a permis d’éviter une fonte des glaces « qui aurait été complètement inédite », note Martin Siegert.

De l’autre côté du globe, dans la région Arctique, le thermomètre a dangereusement flirté avec les températures de dégel alors même « qu’on est encore à la fin de la période froide », souligne Martin Siegert. À certains endroits, comme sur l’île de Hopen (au nord de la Norvège et au sud de l’archipel de Svalbard), « une température de 3,9 °C a été enregistrée, ce qui ne s’est jamais produit depuis le début des relevés en 1944 », indique sur Twitter Ketil Isaksen, un climatologue norvégien.

Mais la vague de chaleur en Arctique est « moins inhabituelle que celle en Antarctique », souligne Julienne Stroeve. Cette région du monde est la plus durement affectée par le réchauffement climatique – les températures y augmentent trois fois plus vite qu’ailleurs en moyenne –  et les événements météo extrêmes commencent à s’y multiplier. 

Il n’en demeure pas moins que « la magnitude de ce pic de chaleur est surprenante », estime Martin Siegert. Pour lui, il pourrait avoir pour corollaire une saison des fontes de glaces qui commencerait un peu plus tôt que d’habitude. En général, le dégel débute à la fin du mois de mars et dure jusqu’en septembre dans la région arctique.

De l’air chaud d’Espagne et de Nouvelle-Zélande

Si ces records historiques se sont produits en même temps dans les deux régions polaires, « c’est une coïncidence », assure Julienne Stroeve. « Il n’y a presque aucun lien entre les mouvements d’air qui façonnent la météo en Arctique et en Antarctique », précise Martin Siegert.

Mais dans les deux cas, ce sont des rivières atmosphériques qui sont à l’origine de ce réchauffement soudain des pôles. Il s’agit de couloirs d’air qui, comme des tapis roulants volant, transportent des grandes quantités de vapeur d’eau sur de longues distances.

Pour expliquer le phénomène dans la région Arctique, il faut descendre « vers le sud-ouest de l’Espagne et le nord de l’Afrique, d’où est partie la rivière atmosphérique qui a transporté toute l’humidité vers le nord et surtout dans la région de la Sibérie », explique Jonathan Wille. 

En Antarctique, le phénomène a été plus complexe. Il y a bien eu une rivière atmosphérique qui a pris son origine « à l’extrémité sud-est de l’Australie et en Nouvelle-Zélande », remarque le spécialiste de l’université de Grenoble.

Mais ce n’est pas tout. En atteignant les côtes de l’Antarctique, cet air plus chaud a engendré des pluies et, un peu plus en altitude, de la neige. Ensuite, au lieu de se disperser et repartir vers le nord, ce courant atmosphérique est resté sur place et s’est même engouffré toujours plus vers le pôle Sud. « C’est une rivière atmosphérique qui est allée plus vite, est restée plus longtemps au-dessus de l’Antarctique et a poussé plus au sud que d’autres » qui ont atteint ce continent, résume Jonathan Wille. 

Une « bizarrerie météo ou un événement précurseur » ?

« Il serait tentant de mettre ces anomalies sur le compte du réchauffement climatique », reconnaît Martin Siegert. Après tout, l’une des conséquences de ces changements dus à l’activité humaine est que les événements météo extrêmes – comme des pics de chaleur dans les régions polaires ou les ouragans – deviennent plus courants. 

Mais pour l’instant, il est encore trop tôt pour attribuer ces pics de température au réchauffement climatique. « La situation est revenue à la normale dans les régions polaires cette semaine, et il se peut que la météo de la semaine dernière reste un phénomène isolé », estime Julienne Stroeve.

« C’est la grande question à laquelle il va falloir répondre : est-ce qu’on a eu affaire à une bizarrerie météo ou à un événement précurseur [du climat à venir dans ces régions] ? », ajoute Jonathan Wille. La question est d’autant plus importante qu' »on a eu de la chance cette fois-ci en Antarctique », estime Martin Siegert. Si la rivière atmosphérique s’était dirigée plus à l’ouest du continent austral – où les températures sont déjà naturellement plus douces en cette saison -, la vague d’air chaud aurait pu entraîner une fonte des glaces inédite. Ce qui serait une mauvaise nouvelle pour la montée des eaux.

france24

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