Surprise! Le bolivar, la monnaie vénézuélienne longtemps en proie à l’hyperinflation, est relativement stable depuis octobre après des années de dépréciation continue. La raison: l’Etat a injecté plus de 2 milliards de dollars sur le marché des changes pour freiner l’inflation et soutenir les échanges.
Selon le cabinet de conseil Aristimuño Herrera & Asociados, la Banque centrale du Venezuela (BCV) a injecté quelque 2,2 milliards de dollars sur le marché ces cinq derniers mois augmentant l’offre de billet vert, honni pendant des années par le pouvoir qui critique régulièrement l’impérialisme américain.
En 2019, confronté à des pénuries généralisées, une hyperinflation paralysante et une économie en berne, Caracas, après 15 ans d’interdiction, a franchi le Rubicon, autorisant la circulation du dollar qui a pris le pas sur le bolivar.
Les liquidités en bolivar augmentent, mais celles en dollar – qui circule largement en dehors du système bancaire – sont désormais plus de quatre fois supérieures, selon des estimations privées.
L’inflation annuelle reste la plus élevée au monde avec 686% en 2021 selon la BCV, mais très loin des 130.000% en 2018, 9.585% en 2019 et 3.000% en 2020.
« En faisant circuler plus de dollars que la demande, vous générez une stabilité du taux de change », explique à l’AFP César Aristimuño.
Sans divulguer les montants, la BCV reconnaît 29 « interventions » depuis octobre 2021, date de la nouvelle reconversion monétaire. Les autorités ont alors enlevé six zéros au bolivar (1 million devenant 1 bolivar) pour des raisons comptables tout en promettant de restaurer la confiance dans la monnaie locale.
Parallèlement, Caracas a instauré une taxe de 3% sur les transactions de change et de cryptomonnaies.
« La monnaie légale est et restera le bolivar », a insisté mardi la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodriguez, également ministre de l’Economie.
Quid des réserves ?
Depuis octobre, le cours officiel du dollar est passé de 4,18 à 4,34 bolivars, soit une dépréciation presque négligeable de 3,69% après avoir atteint 76% en 2021 jusqu’à la reconversion et plus de 95% en 2018, 2019 et 2020.
Mais, comme le note Henkel Garcia, directeur du cabinet Econometrica, cette politique d’injection de dollars n’est possible qu’en raison de la « petite » taille de l’économie, avec un Produit intérieur brut (PIB) qui a chuté de plus de 80% entre 2013 et 2020. Il a rebondi, selon le gouvernement, à 4% en 2021.
« La question est de savoir combien de temps vous pouvez maintenir » cette politique d’injection de dollars, souligne-t-il.
Certains accusent le gouvernement de « brûler » les réserves internationales, mais les deux experts estiment que les dollars mis sur le marché proviennent de la hausse des revenus pétroliers.
Après avoir vu sa production chuter de 3 millions de barils/jour (2014) à un niveau historiquement bas de 400.000 en 2020, le Venezuela commence à remonter la pente (680.000 en 2021 selon l’Opep), bénéficiant également d’un prix du baril en forte hausse.
La BCV fait état de réserves de 10,8 milliards de dollars, soit moins de la moitié des réserves de 2014. Elle y inclut les 5 milliards assignés, mais toujours pas versés au Venezuela en raison de la crise politique, par le Fonds monétaire international (FMI) pour augmenter les liquidités dans le monde lors de la pandémie de Covid-19.
Si l’injection de dollars a des effets bénéfiques, il y a des « dégâts collatéraux », souligne M. Aristimuño. D’une part, comme l’inflation reste très élevée et que le change évolue peu, le pouvoir d’achat du dollar tend à diminuer…
D’autre part et surtout, « les exportations perdent de leur intérêt » au profit des importations.
Carlos Fernandez Gallardo, président de Fedecamaras (patronat), s’inquiète : « il y a une augmentation des coûts en dollars pour les producteurs, avec un effet pernicieux sur le consommateur », s’alarme-t-il, soulignant que le parc industriel fonctionne à 27% de sa capacité. « Que se passera-t-il si ces dollars viennent à disparaître? »
En 2018, afin de lutter contre l’inflation, les autorités avaient relevé à 85% le taux de réserves obligatoires des banques pour limiter la création de monnaie. Cela a contribué à faire baisser encore plus le crédit, déjà en chute libre avec l’effondrement du bolivar.
Le Venezuela est désormais un nain du crédit avec 140 millions de dollars en 2021 contre 14 milliards en Colombie voisine.
Conscient que crédit, investissements et croissance sont intimement liés, le pouvoir a fait quelque peu machine arrière en février, autorisant les prêts indexés sur le dollar sous certaines conditions et en revenant sur le taux des réserves obligatoires, désormais à 73%. Objectif: soutenir la croissance, mais en évitant la spirale inflationniste.
AFP