Depuis le 24 février, l’offensive russe vise, en partie, le sud de l’Ukraine et les territoires situés à l’est, le long de la mer d’Azov. Si la Russie s’empare de cette bande terrestre, elle deviendrait maître de la mer d’Azov, une victoire majeure pour Moscou.
En Ukraine, la « guerre éclair » espérée par Vladimir Poutine n’a pas eu lieu. Depuis un mois, les troupes russes et ukrainiennes s’affrontent sur plusieurs zones : le nord, l’est et le sud de l’Ukraine. Au sud et à l’est, la Russie attaque des territoires qui bordent la mer Noire et la mer d’Azov.
Cette offensive s’étend sur une vaste bande terrestre depuis le Donbass, contrôlé en partie depuis 2014 par des séparatistes prorusses, jusqu’aux portes de Mykolaïv, en passant par Melitopol, Berdiansk et la péninsule de Crimée, annexée par la Russie en 2014. Moscou semble vouloir poursuivre sur cet axe : l’armée russe a annoncé vendredi 25 mars qu’elle concentrerait ses efforts sur l’Est de l’Ukraine pour permettre la « libération du Donbass ».
L’avancée des troupes russes en Ukraine au 24 mars à 20 h (heure de Paris)
L’avancée des troupes russes en Ukraine au 24 mars à 20 h (heure de Paris) © Studio graphique France 24
Le contrôle du sud-est de l’Ukraine depuis le Donbass aurait un avantage non négligeable pour la Russie, à la fois terrestre et maritime. « Si les Russes prennent toute la rive septentrionale de la mer d’Azov, celle-ci deviendrait alors une mer intérieure russe », explique Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut français de géopolitique (Université de Paris-VII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More, contacté par France 24.
Mais l’armée russe n’en est pas encore là. La ville portuaire de Marioupol, lourdement bombardée, résistait encore vendredi, malgré une situation humanitaire catastrophique. Plus à l’ouest, du côté de la mer Noire, Kherson est la seule ville majeure conquise entièrement par les forces russes. Et les Russes « essayent toujours d’encercler Mykolaïv en ambitionnant d’avancer sur l’ouest, vers Odessa », selon le ministère britannique de la Défense.
Asphyxier l’Ukraine par le sud
La conquête de l’intégralité de cette zone terrestre aurait alors des conséquences importantes sur l’Ukraine. Car Marioupol, Berdiansk et surtout Odessa sont des grands ports ukrainiens, par lesquels l’Ukraine exporte notamment des produits sidérurgiques et du blé. Pour le chercheur, « il y a, d’une part, la guerre à proprement parler, avec des affrontements armés et, d’autre part, un blocus naval, l’asphyxie économique et la volonté de priver l’Ukraine de tout accès maritime ».
La mer d’Azov est déjà de facto sous l’emprise de la Russie depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Depuis cette date, Moscou contrôle les deux rives du détroit de Kertch, qui donne accès à la mer Noire. La rive orientale du détroit correspond à la péninsule russe de Taman et la rive occidentale est située en Crimée. Le contrôle de la mer d’Azov s’est ensuite renforcé en 2018 avec la création, par la Russie, d’un pont reliant les deux péninsules. « Dès cette époque, la Russie considérait que la mer d’Azov était une mer russe », précise l’auteur de l’ouvrage « Le Monde vu de Moscou – Géopolitique de la Russie et de l’Eurasie post-soviétique » (PUF, 2020).
En effet, « ce pont de Kertch empêchait un certain nombre de navires ukrainiens de passer. Cela a contribué à réduire considérablement le trafic maritime de Marioupol et Berdiansk, deux ports importants pour l’Ukraine, et a conduit à la redirection du commerce vers les ports ukrainiens donnant sur la mer Noire », précise à France 24 Louis Pétiniaud, chercheur au centre de recherche Geode et spécialiste de l’Ukraine et de la Russie.
Après la construction du pont, la marine russe avait tiré sur des navires militaires ukrainiens et s’était emparée de trois d’entre eux, en novembre 2018. Elle avait accusé ces navires d’avoir pénétré dans les eaux territoriales de la Crimée, dont l’annexion n’est pas reconnue par l’Ukraine.
La Russie et l’Ukraine avaient pourtant conclu un accord en décembre 2003. Il prévoyait l’appartenance de la mer d’Azov et le détroit de Kertch aux « eaux intérieures de l’Ukraine et de la Russie » et la circulation « libre » dans le détroit pour les navires des deux pays, y compris militaires. Mais l’annexion de la Crimée a rebattu les cartes.
« Vladimir Poutine veut reconstituer la Nouvelle-Russie »
« Je ne pense pas que la mer d’Azov ait en elle-même un intérêt pour la Russie. Mais c’est une porte d’entrée vers la mer Noire [où transite une partie importante du trafic maritime mondial] », affirme Louis Pétiniaud. Si Marioupol tombe aux mains des Russes et qu’ils « contrôlent la rive septentrionale de la mer d’Azov, alors ils contrôleraient toute la mer d’Azov et ce serait un pas supplémentaire vers le contrôle des rives septentrionales de la mer Noire », ajoute Jean-Sylvestre Mongrenier.
Mais avoir un accès élargi à la mer Noire n’est pas le seul objectif de Moscou. « Pour la Russie, la mer Noire commande l’accès à la Méditerranée, en passant par les détroits turcs du Bosphore et des Dardanelles. Ensuite, à partir de la Méditerranée, il y a la possibilité de se projeter dans la mer Rouge, dans l’océan Indien, dans l’océan Atlantique. La mer Noire donne accès à ce qu’on appelle en Russie ‘l’océan mondial' », explique le chercheur.
La Russie tente déjà depuis plusieurs années d’étendre son influence dans les mers chaudes. En 2015, Moscou avait lancé des missiles de croisière depuis la mer Caspienne pour détruire des cibles en Syrie. Autre exemple ces dernières semaines : la Russie et le Soudan ont relancé un projet de base militaire russe, le long de la mer Rouge, à Port-Soudan.
Cette stratégie fait écho à celle de l’impératrice Catherine II, qui avait, à la fin du XVIIIe siècle, fondé le port de Sébastopol pour offrir un accès privilégié aux mers chaudes. « Elle avait fait la conquête de la partie nord de la mer Noire et elle avait donné le nom de ‘Nouvelle Russie’ à cet espace. Aujourd’hui, Vladimir Poutine veut reconstituer cette ‘Nouvelle-Russie’, c’est-à-dire une zone terrestre qui part du Donbass, qui s’étend jusqu’à la Crimée et qui irait au minimum jusqu’à la Moldavie », affirme Jean-Sylvestre Mongrenier.
Mais la Russie n’est pas seule en mer Noire. Elle la partage avec la Géorgie et trois pays membres de l’Otan, la Turquie, la Bulgarie et la Roumanie. La Turquie, dont la marine peut tenir tête aux Russes, a récemment cherché à freiner les ardeurs des Russes en mer Noire. Le 28 février, elle a interdit le passage de ses détroits à tous les bâtiments de guerre, qu’ils soient issus de pays « riverains ou non de la mer Noire ». Si la Russie s’est sentie directement visée, cette décision s’applique aussi à l’Otan, qui cherche à muscler ses positions dans cette zone.
L’Alliance a décidé jeudi d’envoyer des renforts en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie et en Slovaquie, ce qui porterait à huit le nombre de bataillons multinationaux déployés sur le flanc oriental de l’Otan. Washington et ses alliés ont par ailleurs commencé à discuter de la livraison à l’Ukraine de missiles antinavires. Des armes qui pourraient aider le pays à desserrer l’étreinte russe autour des ports de la mer Noire.
france24
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