La pression de l’opinion ne doit pas seulement s’exercer auprès des groupes présents en Russie en dépit de la guerre en Ukraine. Si la communauté internationale estime qu’il est nécessaire d’imposer un retrait du pays, il ne faut plus laisser le choix à ces entreprises.
Editorial du « Monde ». La frontière entre pragmatisme, réalisme et cynisme est souvent ténue dans le milieu des affaires. Elle est aujourd’hui difficile à tenir pour les entreprises étrangères encore présentes en Russie, malgré les sanctions internationales décidées en rétorsion à l’invasion de l’Ukraine. Un mois après l’agression perpétrée par le régime de Vladimir Poutine, une pression grandissante s’exerce sur celles qui ont choisi de rester. La France, deuxième investisseur étranger dans le pays, se retrouve confrontée de façon aiguë à ce dilemme consistant à trancher entre éthique et business.
La réactivité des entreprises et leur capacité à prendre des décisions radicales sont souvent fonction du poids de leurs activités en Russie dans leur chiffre d’affaires. Fermer quelques magasins comme les groupes de luxe s’y sont résolus et accepter de perdre quelques millions d’euros de profits n’a évidemment pas le même impact que de renoncer à des milliards d’investissements dans des installations industrielles (Renault ou TotalEnergies), tout comme se séparer d’une banque locale qui compte 2 millions de clients (Société générale).
Partir dans la précipitation sans en avoir pesé les conséquences pour les salariés, la population russe et l’équilibre financier de l’entreprise n’est pas forcément la garantie que les sanctions contre le système poutinien seront efficaces. Abandonner des actifs du jour au lendemain peut même faire les affaires des oligarques, qui se feront un plaisir de les reprendre à prix bradé, tout en continuant à faire tourner l’activité. Dans ce domaine comme dans celui de l’approvisionnement énergétique, il faut se méfier des solutions simples à des problèmes éminemment complexes.
Stratégie risquée
Reste que certaines entreprises jouent la montre en tablant sur un retour rapide à la normale. Cette stratégie est risquée, car rien ne garantit une issue du conflit à court terme. Surtout, il se passera sans doute du temps, même après l’arrêt des combats, avant que la Russie ne revienne dans le concert des nations.
Dans le même temps, ces groupes doivent surmonter des enjeux de réputation compliqués. En dénonçant l’attitude de trois de nos fleurons devant les parlementaires français, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a enclenché un mécanisme efficace auprès de l’opinion publique. « Renault, Auchan, Leroy-Merlin et autres doivent cesser d’être des sponsors de la machine de guerre », a accusé le président ukrainien. Face à cette charge, le discours des entreprises, qui se piquent d’être « socialement responsables », risque de sonner de plus en plus faux au fur et à mesure que les atrocités dans les zones de combat prendront de l’ampleur. Renault, qui a fini par prendre conscience que la situation devenait intenable, est désormais prêt à se désengager de Russie.
La pression de l’opinion ne doit pas seulement s’exercer auprès des entreprises. Celles-ci ont beau jeu de répéter qu’à ce stade elles respectent scrupuleusement le cadre des sanctions internationales. « Ma position est de laisser les entreprises libres de décider pour elles-mêmes », insiste Emmanuel Macron. Si la communauté internationale estime qu’il est nécessaire d’imposer un retrait clair et net de Russie, que les instances compétentes prennent leurs responsabilités en ne laissant plus le choix aux entreprises. Compter sur la bonne volonté de ces dernières est soit hypocrite, soit naïf. Dès lors que les Occidentaux considéreront que la solution pour desserrer l’étau sur l’Ukraine passe par des sanctions plus systématiques, ils doivent le dire clairement et se donner les moyens de les appliquer.
lemonde
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