La route de l’exil puis les camps d’internement en France où rôde la mort: au Mémorial du camp de Rivesaltes, non loin de la frontière avec l’Espagne, la première rétrospective consacrée au dessinateur antifranquiste Josep Bartoli permet de « réhabiliter » toute une génération d’exilés espagnols « rayée de l’Histoire ».
Pratiquement inconnu en Europe il y a quelques années, cet artiste espagnol engagé (1910-1995) a été révélé au grand public grâce au film Josep, réalisé par le dessinateur de presse Aurel et récompensé en 2021 par le César du meilleur film d’animation.
C’est lors d’une rencontre improbable en 2010, dans un petit salon du livre près de Rivesaltes, qu’Aurel tombe par hasard sur les dessins de Josep Bartoli dans un livre sur la Retirada de son neveu Georges Bartoli.
« Immédiatement il se passe quelque chose: Aurel est ébranlé par ce qu’il découvre », se souvient le neveu de l’artiste et commissaire de l’exposition.
Souffrance des camps
Ces dessins-croquis dépeignent avec un foisonnement de détails l’univers de dénuement, d’humiliations et de souffrances physiques et morales des camps d’internement français où ont été parqués les réfugiés Républicains espagnols fuyant le régime de Franco.
Quelque 500.000 d’entre eux franchiront la frontière à l’hiver 1939. Josep Bartoli, lui, sera incarcéré dans sept camps différents.
Dans un des dessins intitulé « travaux forcés », des dizaines d’hommes squelettiques creusent la terre, coupent du bois et portent de lourdes charges, tandis que des gendarmes français, obèses, fument des cigares ou font la sieste à l’ombre d’un arbre.
Dans un autre, une femme hurle de désespoir derrière des fils barbelés, avec un petit garçon famélique en guenilles à son côté.
« Ces dessins ont une valeur documentaire exceptionnelle, puisqu’ils ont été fait à chaud, dans les tréfonds des camps, là où il n’y avait pas de photographes », estime Georges Bartoli.
« C’est une vision très réaliste où rien n’est édulcoré: des dessins qui sentent la merde et la mort par moments, qui montrent les latrines, des hommes en train de chier dans une tranchée au milieu de la plage, à qui on jette du pain », décrit le neveu de l’artiste.
Pour Nina Wöhrel, l’organisatrice de l’exposition, ces dessins marquent l’apparition d’un genre nouveau: le reportage graphique, né de l' »urgence de témoigner » de Josep Bartoli.
Le visiteur les découvre au Mémorial du camp de Rivesaltes en avançant dans un tunnel spécialement conçu pour l’exposition, où une ganivelle (NDR: clôture en bois) et du sable au sol le plongent dans l’univers des camps.
« Acte de résistance »
Pour Georges Bartoli, cette exposition était « nécessaire » pour la « valeur artistique » des oeuvres, restées dans l’ombre, mais surtout « pour réhabiliter toute une génération d’invisibles, dont mon oncle et mes parents ont fait partie ».
« En Espagne, ils ont été rayés de l’Histoire officielle, et en France ils ont été accueillis comme des adversaires, des bandits, et non pas comme les héroïques combattants du fascisme qu’ils étaient », souligne le commissaire.
Il estime que cette période des camps a été « fondatrice » dans la construction de l’oeuvre de son oncle, pour qui dessiner était un acte de « résistance ».
La deuxième partie de l’exposition est, elle, tout en couleur: elle retrace les années américaines de Josep Bartoli, à partir de son arrivée au Mexique en 1942 jusqu’à son installation définitive aux Etats-Unis où il est mort.
« Au Mexique il découvre la lumière, la couleur, la vie. Et surtout il redécouvre l’amour grâce à Frida » Kahlo, souligne Georges Bartoli.
Puis à New York, ses peintures aux styles très variés ne s’éloignent jamais de la question politique et sociale: Dans une série de peintures intitulée « machismo », Bartoli dénonce l’exploitation du corps féminin, par la prostitution notamment.
Dans une autre série de tableaux où il introduit le collage, l’artiste fait le portrait d’un marchand d’armes, d’un militaire ou d’un banquier: « ceux qui dans la société exercent une espèce de pouvoir et de répression sociale », souligne Mme Wöhrel.
Quelque soit l’époque, « son propos reste engagé et radical et ses peintures décoiffent, questionnent, culpabilisent », affirme Georges Bartoli.
AFP
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