En visite en Pologne, où il a rencontré des Ukrainiens ayant fui les combats, Joe Biden a qualifié samedi Vladimir Poutine de « boucher », jugeant qu’il ne pouvait « pas rester au pouvoir ». Si la Maison Blanche a rapidement précisé que le président américain n’appelait pas à un « changement de régime », cette sortie traduit bien une divergence d’approche entre les États-Unis et certains de leurs alliés européens face à la Russie, selon le géopolitologue Pascal Boniface. Entretien.
Alors qu’il prononçait, samedi 26 mars depuis la capitale polonaise Varsovie, un discours adressé au « monde libre » en soutien au peuple ukrainien, le président américain Joe Biden s’est livré à une attaque en règle contre le « dictateur » Vladimir Poutine, estimant que ce dernier ne pouvait « rester au pouvoir ». Des propos rapidement recadrés par la Maison Blanche, qui a précisé que les États-Unis n’ont pas de stratégie de changement de régime en Russie, mais également par le chancelier allemand Olaf Scholz, qui a affirmé dimanche qu’un changement de régime en Russie n’est pas « l’objectif de l’Otan ».
Plus tôt samedi, après une rencontre avec des réfugiés ukrainiens, Joe Biden avait qualifié le dirigeant russe de « boucher », suscitant cette fois une réaction du président français, Emmanuel Macron, qui a mis en garde contre « l’escalade des mots et des actions en Ukraine » rappelant que l’Europe n’était « pas en guerre contre le peuple russe ».
Pour décrypter les propos de Joe Biden et les réactions qu’ils ont suscitées en Europe, France 24 s’est entretenu avec Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
La sortie de Joe Biden sur Vladimir Poutine qui ne peut rester au pouvoir a été suivie d’un rétropédalage de la Maison Blanche. S’agit-il d’une gaffe ou était-ce calculé ?
Pascal Boniface : Ces propos correspondent à la conviction profonde de Joe Biden qui, depuis son arrivée au pouvoir, veut placer les droits de l’Homme au cœur de sa présidence, avec un changement de ton notable vis-à-vis de la Russie par rapport à l’ère Trump, mais aussi face à d’autre autocraties, comme par exemple l’Arabie saoudite.
Pour autant, cette sortie n’en est pas moins une gaffe vis-à-vis de ses alliés et plus généralement du monde, car affirmer comme il l’a fait que Vladimir Poutine ne peut rester au pouvoir renvoie au fiasco de la politique de changement de régime en Irak et en Afghanistan. Les États-Unis, qui souhaitent unir les démocraties face à la Russie, ne peuvent fédérer autour de cette idée. C’est pourquoi la Maison Blanche a été contrainte de faire amende honorable.
Avant même les réactions européennes, il était évident que de tels propos étaient contreproductifs. Ce n’est pas la première fois que Joe Biden commet ce genre d’impairs lors de déclarations publiques, cela lui arrive régulièrement lorsqu’il s’éloigne de ses discours et c’était même un sujet majeur d’inquiétude pour ses équipes lors de la campagne présidentielle. Donc oui, cette phrase est une gaffe qui révèle sa conviction profonde.
I went to Europe with a clear message: We must commit now to be in the fight for democracy for the long haul. We stand with the people of Ukraine and we will continue to ensure Russia pays a severe price for its war of choice. pic.twitter.com/1gRvYnvNdr
— President Biden (@POTUS) March 27, 2022
En quoi les réactions de l’Allemagne et de la France traduisent-elles une différence d’approche avec les États-Unis face à la Russie ?
Paris et Berlin sont certes favorable à un rapport de force avec la Russie, mais sont bien conscients qu’il est essentiel de maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine dans l’optique d’une résolution du conflit. On peut considérer que ces pays ont une posture moins morale et plus pragmatique, alors que Joe Biden considère de son côté que la démocratie est le seul régime qui conduit un pays à la stabilité.
Bien sûr, l’Europe est bien plus proche des États-Unis que de régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine, et il ne s’agit pas pour elle d’opter pour une posture d’équilibre, mais de maintenir une forme d’indépendance vis-à-vis de l’allié américain. En ce qui concerne le conflit en Ukraine, la position d’Emmanuel Macron est que traiter Vladimir Poutine de « boucher » ou bien appeler à son départ ne peut conduire qu’à durcir sa position et donc nuire aux efforts de résolution du conflit.
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Dans cette guerre, la position américaine face à Moscou est-elle perçue par l’Europe comme un danger ou un atout ?
Avant même le début du conflit, les États-Unis avaient adopté une stratégie offensive vis-à-vis de la Russie, dévoilant les positions militaires russes et alertant sur l’imminence de l’invasion de l’Ukraine. Certes le constat était juste, mais force est de constater que cette stratégie de pression sur Moscou n’a pas empêché la guerre. Pour autant, les États-Unis n’en sont pas responsables ; ils n’ont pas tendu de piège à la Russie et Vladimir Poutine s’est lancé tout seul dans cette offensive.
Cette guerre influe donc positivement sur l’image des États-Unis. Elle lui confère le statut de héros, seul capable de protéger l’Europe et ressouder l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) autour des Américains. Si le contexte contribue à un rapprochement entre les États-Unis et l’Europe, certains pays européens comme la France et l’Allemagne redoutent néanmoins que Joe Biden profite de ce contexte pour pousser son avantage et accentuer le clivage entre les démocraties et les régimes autoritaires.
Car si Washington cherche à créer une coalition anti-Pékin pour asseoir son leadership, la France et l’Allemagne préfèrent empêcher la formation de deux blocs antagonistes menant à un contexte d’hostilité permanente dangereuse.
france24