Face au secrétaire d’État américain, qu’il a reçu à Alger le 30 mars, le président algérien s’est livré à un exposé détaillé de sa doctrine diplomatique. Concentrant sans surprise son propos sur les relations avec le Maroc.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accordé, mercredi 30 mars, une audience au secrétaire d’État américain, Antony Blinken, qui venait d’achever une visite au Maroc. Dans cet entretien, dont le verbatim a été publié par le département d’État et dont un extrait vidéo a fuité, le président algérien évoque longuement les désaccords et la brouille avec le Maroc, ainsi que la question du Sahara occidental, qui continue d’empoisonner les relations entre les deux voisins. Explications et extraits du verbatim.
La guerre des Sables
Mardi 8 octobre 1963, des affrontements éclatent entre des soldats de l’armée algérienne et un détachement des Forces armées royales (FAR) au lieu-dit Hassi Beïda, non loin de Colomb-Béchar (aujourd’hui Béchar, en Algérie).
Très vite, les combats s’étendent à la région de Tindouf et de Figuig (Maroc). La « guerre des Sables » va durer près de trois semaines, avant le cessez-le-feu du 5 novembre 1963. Selon le président algérien, c’est le Maroc qui a déclenché les hostilités dans ce conflit frontalier.
À la « continuité » de la position algérienne qu’il met en avant, le président Tebboune oppose la duplicité supposée du Maroc
« Nous avons le royaume du Maroc avec lequel les relations ont toujours connu des hauts et des bas depuis notre indépendance. Ce n’est pas récent et ce n’est pas dû à la question du Sahara occidental. Il y a deux mentalités, deux façons de voir les choses. Nous respectons les peuples, nous respectons les frontières des peuples alors que eux (le Maroc, ndlr) peuvent s’étendre. Vous savez que personne n’a oublié, aucun Algérien n’oubliera que le Maroc nous a attaqués en 1963. On n’avait même pas d’armée régulière. Ils nous ont attaqués avec les forces spéciales, des hélicoptères et des avions. Nous avons eu 850 victimes. »
Un Maroc « expansionniste »
Tout l’enjeu pour le président algérien consistait à présenter son voisin comme un facteur de déstabilisation de la région, dont l’Algérie ne serait pas la seule à se plaindre. Le président algérien accuse ainsi le royaume de nourrir depuis toujours des prétentions territoriales non seulement sur l’Algérie, mais aussi sur la Mauritanie.
Face à son hôte américain, qui n’en demandait sans doute pas tant et qui a très peu parlé pendant l’entretien, Abdelmadjid Tebboune en a profité pour rembobiner le cours des événements et expliquer qu’il « a fallu attendre 1972 pour que le roi du Maroc accepte de serrer la main au président mauritanien et qu’il reconnaisse enfin l’indépendance de la Mauritanie douze ans après sa proclamation, en 1960 ».
Le « double jeu » marocain
Abdelmadjid Tebboune accuse les Marocains de double jeu dans le dossier du Sahara, qui n’est pas la cause première, selon lui, des tensions entre les deux pays. À la « continuité » de la position algérienne qu’il met en avant, le président Tebboune oppose la duplicité supposée du Maroc. À Antony Blinken, il affirme ainsi que l’Algérie possède des documents qui prouveraient que Hassan II était favorable à la solution de l’autodétermination.
Le conflit ne serait pas motivé par des intérêts politico-économiques, mais par la doctrine diplomatique algérienne
Déplorant que les frontières soient toujours fermées « cinquante ans après l’indépendance », le président algérien présente le Maroc comme un voisin à l’agressivité injustifiée : « Ils ont toujours voulu déstabiliser l’Algérie. Je ne sais pas pourquoi alors que nous avons toujours protégé le Maroc. » Une petite musique (et un exercice de réécriture de l’histoire) qui laisse supposer que le Maroc, loin de chercher à apaiser les tensions avec l’Algérie, aurait plutôt tenté de les exacerber.
Le Sahara comparé à la Palestine
Dans son long monologue sur les tensions avec le Maroc, le chef de l’État algérien n’a pas hésité à dresser un parallèle entre la question du Sahara et celles de la Palestine, de l’Afrique du Sud sous l’apartheid, du Timor-Oriental ou encore des Comores.
Le conflit avec le voisin ne serait ainsi pas motivé par des intérêts politico-économiques, mais par la doctrine diplomatique algérienne, attachée à la lutte contre la colonisation et les discriminations. Et de citer la relation avec l’Indonésie, comme pour mieux démontrer que le Maroc est de mauvaise foi dans cette affaire :
« Notre position vis-à-vis du Sahara occidental […] est la même que celle envers le Timor-Est. Nous avons fini par convaincre nos amis indonésiens dont nous étions très proches qu’il fallait qu’ils lâchent le Timor-Est et lui accordent l’indépendance. Et c’est ce qui s’est fait. Et nous sommes restés très liés à l’Indonésie. »
Reste une question : la publication quasi in extenso des propos du président algérien, ainsi que d’extraits audio de cet entretien par le département d’État américain – pratique peu courante en diplomatie – a-t-elle reçu l’aval d’Alger ? En l’absence de réaction officielle, force est de constater que leur contenu démontre à la fois le blocage du logiciel algérien sur cette question – Abdelmadjid Tebboune estimant que le différend entre les deux pays est en quelque sorte consubstantiel à l’indépendance –, ainsi que l’absence de toute perspective de solution négociée du conflit, vu d’Alger, tant que le pouvoir actuel demeurera en place.
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