Critiqué au sein même de sa coalition pour avoir mis fin à la neutralité de l’Espagne sur le Sahara occidental, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez se rend jeudi au Maroc, où il doit refermer, avec le roi Mohammed VI, la page d’une crise diplomatique qui a mis à mal les relations entre les deux pays. Retour sur l’affaire à l’origine des tensions.
Le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez est attendu jeudi au Maroc à l’occasion d’une visite officielle de deux jours censée marquer la fin d’une crise diplomatique majeure entre les deux pays et relancer les relations bilatérales.
Le palais royal marocain a précisé dans un communiqué que Mohammed VI « aura des entretiens officiels » avec Pedro Sanchez et « offrira également un iftar », rupture du jeûne du ramadan, « en l’honneur » de son « illustre hôte ».
Une invitation à la rupture du jeûne saluée par le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, qui a indiqué, mardi, qu’elle est considérée à Madrid comme un « signe d’amitié très fort ».
Toujours est-il que l’Espagne et le Maroc, brouillés depuis avril 2021, reviennent de loin. Les voisins ont entamé la normalisation de leurs relations le 18 mars, après un an de crise, à la faveur d’un changement de position de Madrid sur le statut du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole.
Le dossier, élevé au rang de cause nationale au Maroc, est très sensible. Il oppose depuis 1975 le royaume chérifien aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par le pouvoir algérien. Pour l’ONU, le Sahara occidental, contrôlé à 80 % par le Maroc, est un territoire non autonome.
Rompant avec la neutralité affichée par l’Espagne depuis des décennies sur la question, Pedro Sanchez a annoncé publiquement son soutien au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine proposé en 2007 par Rabat. Un plan qu’il considère désormais comme « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend » du Sahara occidental.
L’étincelle Brahim Ghali
Ironie de l’histoire, la crise diplomatique entre les deux pays avait été provoquée en avril 2021 par la présence en Espagne du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, avec en toile de fond la question du Sahara occidental.
« En danger de mort » après avoir contracté le Covid-19, l’ennemi numéro un du Maroc était arrivé en Espagne, selon le quotidien El Pais, dans le plus grand secret le 18 avril, à bord d’un avion médicalisé de la présidence algérienne et muni d’un « passeport diplomatique ».
Autorisée au « plus haut niveau », selon El Pais, cette faveur accordée à l’Algérie, principal fournisseur de gaz de l’Espagne, avait provoqué l’ire de Rabat qui a demandé une « enquête transparente » sur les conditions de l’arrivée de Brahim Ghali, accusé d’être entré en Espagne « avec des documents falsifiés et une identité usurpée ».
Échanges musclés, rappel de l’ambassadrice marocaine… L’accueil du chef des indépendantistes sahraouis, que Madrid avait justifié par des « raisons humanitaires », avait provoqué plusieurs semaines de tensions. Le départ, début juin, de Brahim Ghali en direction de l’Algérie n’avait rien arrangé. Visé par deux plaintes pour « tortures » et « génocide », Brahim Ghali avait été entendu par un juge espagnol qui n’a pris aucune mesure coercitive à son égard, le laissant libre de quitter le territoire espagnol, au grand dam du royaume chérifien.
Remonté, ce dernier avait fait pression en jouant la carte migratoire. Le partenaire traditionnel de Madrid dans la lutte contre l’immigration illégale avait ainsi relâché, pendant quelques jours, ses contrôles frontaliers à la mi-mai, laissant passer par la plage ou par la mer 10 000 migrants dans l’enclave espagnole de Ceuta, située au nord du Maroc.
L’Espagne penche en faveur du plan marocain
Madrid avait qualifié l’initiative marocaine de « chantage » et « d’agression à l’égard des frontières espagnoles mais aussi des frontières de l’Union européenne ». Pedro Sanchez avait déclaré qu’il était « inadmissible » que « les frontières soient ouvertes pour que 10 000 migrants puissent entrer en moins de 48 heures dans une ville espagnole » en raison de « différends en matière de politique étrangère ».
De son côté, Rabat avait assuré que la crise entre les deux pays ne « s’ach(evait) pas avec (le) départ » de Brahim Ghali, car elle était liée à la position espagnole sur le Sahara occidental : celle-ci y est considérée comme « cause sacrée de l’ensemble du peuple marocain ».
En penchant en faveur du plan d’autonomie marocain, après plusieurs mois de tensions, le socialiste Pedro Sanchez place l’Espagne aux côtés de la France, de l’Allemagne et des États-Unis. Cependant, il est désormais critiqué au sein même de sa coalition, notamment par le parti de gauche radicale Podemos, favorable à l’autodétermination des Sahraouis.
Surtout, en se rabibochant avec Rabat, au nom d’une « coopération étroite » avec les Marocains, « indispensable pour protéger la sécurité des Espagnols (…), en premier lieu (grâce) à la lutte contre l’immigration irrégulière », Madrid s’est froissé avec Alger.
Dénonçant un « revirement », l’Algérie a rappelé le 19 mars son ambassadeur en Espagne, ouvrant une nouvelle période de tensions avec un partenaire essentiel du pays.
france24