Alors que la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les exactions commises en Ukraine, pour quels crimes l’armée russe et son dirigeant Vladimir Poutine pourraient-ils être jugés?
Des femmes violées, des civils ciblés, torturés et massacrés, des maternités bombardées, des villes assiégées… Les exactions commises en Ukraine depuis le début de l’offensive russe sont nombreuses. Relèvent-elles du crime d’agression, du crime de guerre, du crime contre l’humanité ou encore du génocide? BFMTV.com fait le point sur ces différentes définitions juridiques.
• « Crime d’agression »
Pour Philippe Sands, un avocat franco-britannique spécialiste en droit pénal international, il y aurait selon lui tous les éléments pour accuser Vladimir Poutine de crime d’agression en Ukraine, assure-t-il à Ouest France. « L’agression semble constituée: c’est évidemment d’être entré en Ukraine », pointe aussi sur France inter Rachel Lindon, avocate à la CPI.
Le crime d’agression – l’équivalent du crime contre la paix lors des Procès de Nuremberg et de Tokyo après la Seconde Guerre mondiale – est défini par le Statut de Rome, le traité à l’origine de la création de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998.
C’est « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».
En clair: c’est un État qui emploie la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État. L’invasion, l’attaque, l’occupation militaire, le bombardement, l’annexion, l’envoi de mercenaires ou encore le blocus des ports ou des côtes peuvent être considérés comme des actes d’agression.
• « Crime de guerre »
Le président américain, Joe Biden, a demandé un procès pour « crimes de guerre » après la découverte de plusieurs centaines de victimes civiles à Boutcha, dans les environs de Kiev. La procureure générale d’Ukraine a d’ailleurs fait état de « plus de 4000 crimes de guerre russes » recensés depuis l’invasion du pays. Le parquet national antiterroriste français a d’ailleurs annoncé avoir ouvert trois nouvelles enquêtes pour « crimes de guerre ».
Les crimes de guerre sont des violations du droit international humanitaire, rappellent les Nations unies. C’est-à-dire que ce sont des exactions qui visent des catégories de population en principe protégées par les conventions internationales en temps de conflit, comme les civils, les personnels humanitaires ou les prisonniers. « Les crimes de guerre ont toujours lieu lors d’un conflit armé », précise l’ONU.
Le Statut de Rome les classe et en dresse une longue liste, de la déportation, à la prise d’otage, en passant par le fait d’affamer délibérément des civils. Les traitements inhumains, la mutilation, la torture, l’homicide intentionnel et le viol sont des crimes de guerre.
Depuis le début de l’invasion russe, des organisations de défense des droits de l’Homme ont fait état de viols commis par des soldats russes sur des civiles ukrainiennes. Les médias ont d’ailleurs relaté ces exactions: des jeunes femmes et des jeunes filles, parfois mineures, violées, y compris devant leurs enfants.
La Cour pénale internationale cite également, parmi les crimes de guerre, l’usage d’armes interdites comme les gaz toxiques ou les armes de nature à frapper sans discrimination; la destruction et l’appropriation de biens; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ou des biens de caractère civil mais aussi contre le personnel, les installations ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire.
• « Crime contre l’humanité »
Le procureur de la CPI a annoncé son intention d’ouvrir une enquête sur la guerre en Ukraine en évoquant de potentiels « crimes contre l’humanité ». Un crime contre l’humanité, c’est une attaque planifiée et généralisée contre une population civile, que ce soit en temps de guerre ou de paix.
Sont considérés comme des crimes contre l’humanité le meurtre, l’esclavage, l’emprisonnement ou la déportation de populations, la torture et les violences sexuelles, « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile », rappelle l’ONU.
Le Statut de Rome précise que « les crimes contre l’humanité impliquent soit une violence à grande échelle, eu égard au nombre de victimes ou à l’importance de la zone géographique (généralisée), soit une forme de violence méthodique (systématique) ».
Du point de vue juridique, « le génocide n’est pas plus grave que le crime contre l’humanité et les deux sont punis par les mêmes sanctions pénales », assure au Parisien Isabelle Moulier, maîtresse de conférences en droit public à l’université Clermont-Auvergne.
• « Génocide »
Après le massacre de centaines de civils à Boutcha, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a accusé la Russie de commettre un « génocide ». Un terme repris notamment par le Premier ministre espagnol et le chef du gouvernement polonais mais réfuté par le président américain.
« Il faut prouver une intention de destruction d’une population dans son intégralité, comme au Rwanda ou plus récemment Daech avec les Yézidis », pointe pour Ouest-France l’avocate Clémence Bectarte, coordinatrice du groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale des droits de l’Homme.
Un génocide, c’est l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, religieux, racial ou ethnique. Les victimes de génocide sont donc délibérément visées – et non prises au hasard – « en raison de leur appartenance, réelle ou supposée » au groupe, indique l’ONU.
Dans l’Histoire, quatre génocides ont été reconnus officiellement: celui des Juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, des Arméniens par les Turcs en 1915, les Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994 et le massacre de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine, en juillet 1995. D’autres génocides sont dénoncés, comme celui des Hottentots en Namibie dans la première moitié du XXe siècle ou les crimes du régime khmer rouge au Cambodge.
En ce qui concerne l’Ukraine, « au stade où nous en sommes, nous avons plutôt affaire à des crimes de guerre plutôt qu’à un génocide constitué », explique sur notre antenne Philippe De Lara, maître de conférences en sciences politiques à l’université Panthéon-Assas.
C’est pour cela que pour Jean-Claude Samouiller, vice-président d’Amnesty International France, « on n’est peut-être pas encore, en terme de droit international, devant un crime contre l’humanité ou un génocide parce que les définitions sont très précises, mais incontestablement, on est devant des éléments de crime de guerre », assure-t-il sur notre antenne.
• Un procès pourra-t-il se tenir?
Alors que la CPI a ouvert une enquête, le président russe pourrait-il être poursuivi? La France a d’ailleurs proposé de mettre à disposition de la cour deux magistrats et dix gendarmes. Récemment, plusieurs chefs d’État et de gouvernement ont été condamnés par la CPI pour des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, comme Bosco Ntaganda, ancien chef de guerre du Congo, ou l’ex-commandant en chef de l’armée serbe, Ratko Mladic.
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Mais la Russie – comme les États-Unis – n’a pas adhéré à la CPI. Elle n’est donc pas tenue de collaborer avec la justice internationale ni d’exécuter les mandats d’arrêt. Et la CPI ne peut juger que les individus physiquement présents à leur procès.
bmftv