Ukraine : pourquoi Vladimir Poutine a récompensé le « boucher de Boutcha » et ses hommes

A cemetery worker takes a rest from working on the graves of civilians killed in Bucha during the war with Russia, in the outskirts of Kyiv, Ukraine, Thursday April 14, 2022. (AP Photo/Rodrigo Abd)

Le président Vladimir Poutine a attribué le titre honorifique de Garde à la 64e Brigade de fusiliers motorisés russes. Une récompense pour des soldats qui, aux yeux des Occidentaux, sont directement responsables des atrocités commises contre les civils dans la ville de Boutcha.

Pour l’Ukraine et les Occidentaux, elle est la « brigade de Boutcha » en raison de son rôle supposé dans les massacres commis contre des civils dans cette ville de la périphérie de Kiev. Pour le président russe Vladimir Poutine, la 64e Brigade de fusiliers motorisés est devenue, lundi 18 avril, la 64e Brigade de « garde » de fusiliers motorisés.

Un petit mot de plus – qui est censé faire toute la différence. Le maître du Kremlin a décerné à ces soldats ce titre honorifique en récompense de leurs « héroïsme et bravoure durant les combats pour défendre les intérêts de la mère patrie ». Il a ajouté que ces soldats s’étaient montrés particulièrement « habiles et déterminés dans la poursuite de leur devoir ».

Des Gardes rouges aux « gardes » de Boutcha
Une tournure de phrase qui peut, aux oreilles des Ukrainiens, sonner comme un affront à la mémoire des victimes civiles de Boutcha et une provocation du président russe. Peu après la découverte, dans cette ville, d’un charnier et de scènes d’horreur – des « crimes de guerre » russes pour le président américain Joe Biden –, les services de renseignement ukrainiens avaient identifié le lieutenant-colonel Azatbek Omourbekov comme le responsable de cette zone pour les forces russes. Cet officier – surnommé depuis lors le « boucher de Boutcha – commande la désormais fameuse 64e Brigade de fusiliers motorisés.

Le titre honorifique de « garde » de l’armée russe est « censé désigner des troupes d’élite qui auront droit au meilleur matériel et entraînement. Du moins, c’est présenté de cette façon depuis l’époque de l’empereur Pierre Le Grand (à la tête de la Russie de 1682 à 1725, NDLR), qui semble avoir été le premier à y avoir recours », souligne Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes à la London School of Economics (LSE), contacté par France 24.

Cette récompense a ensuite été largement utilisée à l’époque soviétique durant les périodes de graves crises. « Trotski a créé les Gardes rouges durant la guerre civile russe, puis Staline les a éliminés – comme beaucoup de choses qui avaient été mises en place par Trotski – avant de les restaurer durant la ‘Grande Guerre patriotique’ contre les nazis », détaille Jeff Hawn.

Mais en réalité, ce titre n’a jamais été accordé à la fine fleur de l’armée russe ou soviétique. « Les premiers Gardes rouges faisaient partie des unités les plus brutales de la guerre civile tandis que ceux institués par Staline n’étaient rien d’autre que des conscrits forcés à s’enrôler dans l’armée », rappelle le chercheur de la LSE. Pour lui, cette récompense était une sorte de cache-misère permettant de mettre un vernis d’héroïsme sur les atrocités commises par des unités souvent mal ou peu formées.

Récompense anodine ou blanc-seing pour plus d’atrocités ?
Vladimir Poutine semble s’inscrire dans cette tradition. La 64e Brigade de fusiliers motorisés appartient à la 35e armée, qui est affectée au front de l’Est en Russie. « Ce sont les fameux soldats redéployés depuis la Sibérie pour les besoins de la guerre. Ils ne sont pas considérés comme faisant partie de l’élite de l’armée russe car la frontière asiatique n’est plus une priorité de Moscou depuis l’amélioration des relations sino-russes. Ce sont donc généralement des troupes peu formées et mal équipées qui trainent une réputation de brutalité », résume Jeff Hawn.

En ce sens, le titre de « garde » a avant tout été décerné par le maitre du Kremlin pour reconnaître l’apport de ces troupes du Grand Est à l’effort militaire en Ukraine.

Ce ne serait alors, pour certains, qu’une « remise de récompense tout à fait anodine », assure Ofer Fridman, spécialiste des questions militaires russes au King’s College de Londres, contacté par France 24.

Il en veut pour preuve que ce n’est pas la première fois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine qu’une brigade est hissée au rang de « garde ». Il existe deux autres exemple, ceux de la 155e brigade maritime et la 125e brigade de défense côtière. « Il ne faut donc pas voire le titre décerné à la 64e Brigade comme une provocation contre l’Occident qui accuse ces soldats de crimes de guerre. Ce serait présupposé que le pouvoir russe reconnaît que cette unité a commis des atrocités mais veut les honorer quand même, ce qui n’est pas le cas », soutient Ofer Fridman.

Cette récompense ne serait alors que l’illustration de cette réalité alternative que Moscou a bâti autour de cette guerre et dans laquelle la 64e Brigade ne serait pas pire qu’une autre, se serait bien battu et doit maintenant être redéployé ailleurs en Ukraine.

Une analyse qui n’est pas partagé par tous. Pour Jeff Hawn, ce n’est pas un hasard si Vladimir Poutine a décidé de récompenser l’une des unités les plus controversées du conflit en Ukraine peu de temps après la perte du « Moskva », le croiseur amiral de la flotte russe en mer Noire. « C’était un coup très dur porté au prestige de l’armée russe. Avec cette récompense, Vladimir Poutine essaie de susciter une ferveur similaire à celle de la ‘Grande Guerre patriotique’, lorsque la population avait accepté que tous les moyens étaient bons pour défendre la patrie », estime-t-il.

Et ce ne serait pas seulement un message adressé à l’opinion russe. C’est aussi « une manière pour le Kremlin d’indiquer aux soldats sur le terrain que la fin justifie les moyens et que le gouvernement russe sera prêt à couvrir toutes sortes d’atrocités si elles permettent d’atteindre les objectifs militaires », résume Jeff Hawn.

Un signal important à faire passer au moment où l’offensive dans le Donbass commence. Contrairement à la tentative manquée de prendre rapidement Kiev, qui avait été marquée par des bombardements à répétition, cette nouvelle phase de la guerre en Ukraine promet de donner lieu à des affrontements au sol beaucoup plus intenses. La récompense décernée à la 64e Brigade représenterait une sorte de mise en garde à destination des Ukrainiens que les troupes russes ne reculeront devant rien.

france24

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