La justice à l’épreuve des sanctions contre le Mali

Pour le moment, la Cour de justice de l’Uemoa, saisie par des avocats de l’Etat malien, ne leur a pas encore donné raison. Elle a seulement ordonné « le sursis à exécution » des sanctions décidées le 9 janvier dernier par les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de cette organisation. En cela, elle a répondu à la deuxième requête des avocats maliens. C’est une question de procédure.

En revanche, la première requête du Mali qui est la question de fond – à savoir est-ce que les sanctions prises par l’Uemoa sont légales ? – cette question-là n’est pas encore tranchée.

En choisissant de maintenir les sanctions de la Cédéao, les « double » membres comme on pourrait les appeler, semblent donc avoir reconnu pour le moment la suprématie de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest en la matière.

Ibrahima Kane, spécialiste des organisations internationales et régionales africaines, revient sur cet apparent paradoxe :

« Cela pose simplement le problème de la concurrence des institutions régionales africaine dans une même région géographique. Donc la question qui se pose : est-ce que des mesures prises par la Cédéao peuvent s’imposer à l’organisation régionale qu’est l’Uemoa notamment à certaines de ces institutions comme la Banque centrale ? Il faut permettre à la Cour de justice de l’Uemoa de se prononcer parce que la solution n’est pas simple. Il y a concurrence mais peut-être aussi qu’il y a hiérarchie. »

Quelle juridiction a le dernier mot ?
Une concurrence et une hiérarchie qui, selon Alseny Sall, finissent par nuire à l’objectif premier de ces institutions supranationales qui est l’intégration régionale africaine. Il est chargé de communication auprès de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen :

« On a l’impression que cette justice internationale, c’est une justice qui manque d’impact parce qu’elle est prise en otage par les chefs d’Etat et par les gouvernements. Donc ça c’est un frein même à l’épanouissement de ces juridictions qui pourtant étaient annoncées comme étant des remparts essentiels pour lutter contre la mauvaise gouvernance et pour aider l’instauration des Etats démocratiques en Afrique. »

Sensibiliser les autorités
La CADHP, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, illustre bien cette situation de désobéissance. Ces dernières années, la Cour a vu quatre de ses pays membres – Rwanda, Tanzanie, Bénin et Côte d’Ivoire – revenir sur la déclaration permettant à leurs citoyens de recourir à cette juridiction pour faire valoir leurs droits.

Ce qui a conduit la juridiction en question à entreprendre une campagne pédagogique pour mieux se faire accepter. Alice Banens est chargée des questions de justice internationale auprès d’Amnesty International :

« Il y a des signes positifs ces douze derniers mois. Aujourd’hui, nous sommes à 33 Etats africains qui ont ratifié le protocole établissant la Cour dont huit – mais huit seulement – qui ont déposé la déclaration qui permet aux individus et aux ONG de la saisir. On a remarqué que les visites de la Cour auprès des autorités nationales, cela amène souvent à des signes positifs de meilleure compréhension ou d’adhésion voire de ratification par ces Etats. »

Il n’empêche,les quatre pays cités plus haut ne sont, pour le moment, pas revenus sur leur décision.

A noter toutefois que les pays africains ne sont pas les seuls à rechigner à obéir aux décisions prises par des juridictions supranationales dont elles sont pourtant membres. La Pologne par exemple est en train de négocier âprement des décisions prises à son encontre par la Cour de justice de l’Union européenne. Et pourtant leur application est obligatoire pour les Etats européens.

dw

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