Soja : les bénéfices de la relocalisation de la production en Europe

L’importation de soja est le principal moteur de la déforestation importée en Europe. Accélérer la tendance actuelle vers une production locale peut amener à l’autosuffisance, selon une étude d’AgroParisTech et de l’Inrae.

En novembre dernier, la Commission européenne a présenté sa stratégie de lutte contre la déforestation importée. Elle prévoit pour cela d’instaurer un mécanisme de « diligence raisonnée », visant à responsabiliser les importateurs. Son défi majeur ? Réduire la conversion des écosystèmes forestiers sud-américains en cultures de soja destinées à l’exportation vers l’Europe. « Principal moteur de la déforestation importée de l’Union européenne », selon un récent rapport de l’association Canopée, cette conversion représentait 55,1 millions d’hectares (Mha) en 2019 – plus d’un doublement en vingt ans. Atténuer la déforestation sans réduire les importations est-il possible ? Ou l’Europe doit-elle – et peut-elle – tendre vers l’autosuffisance ?

Les chiffres de la déforestation importée

En moyenne, plus de 90 % du soja consommé dans les pays de l’Union européenne sont importés, principalement depuis les États-Unis et le Brésil. Du reste, le soja produit directement en Europe ne représente que 1,7 % des surfaces cultivés, soit 5 Mha. Ce soja européen a néanmoins vu sa surface de culture multipliée par quatre en douze ans. En France, 164 000 hectares (sur près de 30 Mha de surface agricole utile) sont consacrés à ce protéagineux, une multiplication par huit en dix ans.

Malgré cette progression, l’Hexagone reste très importateur de soja, qu’il destine principalement à l’alimentation animale. Selon une étude sur les surfaces importées réalisée par les experts de l’association Solagro, la demande nette (imports contre exports) française s’élève à une surface de cultures estimée à 1,26 Mha. Le soja est la deuxième denrée la plus importée par la France. À titre de comparaison, Solagro a chiffré le total des surfaces nécessaires aux importations françaises (denrées alimentaires, fibres textiles, bois, etc.) à 10 Mha, pour environ 14 Mha de surfaces utilisées par des produits voués à l’exportation (dont 76 % de céréales).

Une tendance toujours à la hausse

Ces flux imports-exports représentent 13 millions de tonnes d’équivalent CO2 émises par an, non comptabilisés dans le bilan carbone national. Cet impact environnemental se traduit également localement, à la source. Solagro estime que chaque million d’hectares déforestés émet environ 900 tonnes d’équivalent CO2 par brûlage. D’autant que la déforestation bat encore son plein dans le pays le plus exportateur : au Brésil, 1,6 Mha supplémentaires de forêt sont convertis pour cultiver le soja.
Et selon le rapport de l’ONG Canopée, cette tendance n’est pas près de s’inverser, en dépit des engagements internationaux ou professionnels. En 2020, dans les 25 communes brésiliennes considérées comme « prioritaires » par le programme de lutte contre la déforestation lancé par le Soft Commodities Forum, organisation regroupant les six principaux négociants de soja (dont Cargill, Bunge ou encore Viterra, l’ex-Glencore), la déforestation a gagné 34 % de terrain en plus en deux ans, au lieu d’en perdre. « Le fait que la déforestation pour le soja soit fortement concentrée dans un petit nombre de municipalités devrait permettre aux négociants d’atteindre plus facilement les objectifs de zéro déforestation et zéro conversion, souligne Canopée. Cependant, alors que la déforestation a augmenté dans les municipalités prioritaires, les sociétés ont dans le même temps augmenté la capacité de leurs silos dans ces municipalités. » En outre, si les taux de déforestation annuels pour le soja dans la région du Cerrado ont diminué de moitié en dix ans, cette savane sud-américaine continue de perdre, en moyenne, « une surface proche de taille de la ville de New York chaque année pour le soja ».

L’émancipation est-elle possible ?

Alors l’Europe (et avec elle, la France), déjà sur cette voie, peut-elle s’émanciper complètement de cette pression importatrice et produire elle-même le soja qu’elle consomme ? Selon une étude récemment publiée dans la revue Nature Food, une forme d’autosuffisance est possible. Des chercheurs de l’Institut national de recherche agronomique (Inrae) et de l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement (AgroParisTech) se sont attelés à modéliser cette éventualité, en combinant des prévisions climatiques futures et un calcul de rendement des cultures de soja.

D’après leurs estimations, l’Europe peut parvenir à une production locale de 50 % en consacrant 4 % des terres cultivées au soja, à la faveur du réchauffement du continent européen et sans fertilisant d’aucune sorte. Pour atteindre la pleine autosuffisance, il lui faudrait consacrer 11 % des surfaces agricoles existantes. « Nos résultats montrent que les surfaces agricoles européennes favorables à la culture de soja sont beaucoup plus élevées que la superficie récoltée actuellement, indiquent les chercheurs. Les projections indiquent un rendement moyen de deux tonnes par hectare sous les conditions climatiques actuelles, même sans irrigation ni fertilisant, et il augmenterait avec les conditions climatiques futures de + 0,4 à + 0,6 tonne par hectare en 2050 et 2090. »

La réduction de la déforestation importée et des émissions de gaz à effet de serre issues des transports ne seraient pas les seuls bénéfices environnementaux de cette ambitieuse hypothèse. Cette dernière pourrait également participer à réduire l’usage des engrais azotés, remarquent les chercheurs. « Comme les autres légumineuses, [le soja] permet de fixer l’azote dans le sol grâce à des bactéries symbiotiques vivant dans ses racines, ce qui est bénéfique pour la culture suivante et permet de réduire l’usage des engrais azotés, donc leur impact environnemental. »

De plus, tel que le soulève le rapport de Solagro, cette relocalisation de la production de soja aurait un autre cobénéfice : se focaliser sur des variétés non-OGM. En Amérique du Sud, sa production est majoritairement réalisée en monoculture avec des variétés OGM rendues résistantes au glyphosate, lequel est utilisé en abondance. « L’absence ou la faible rotation accroit la pression des adventices et donc l’usage du glyphosate (par exemple : trois traitements en moyenne en Argentine). »

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