Quand le groupe Bloc Party retrouve le mordant des débuts, ça s’entend chez son leader Kele Okereke, qui tranche dans le riff sur disque et dans le vif en interview, traitant Boris Johnson de « menteur », entre autres acidités.
En 2018 et 2019, la formation britannique, qui ne compte plus que deux membres originels, a rejoué en tournée l’intégralité de son premier album, « Silent alarm » (2005), celui de la révélation et de la consécration. Un vrai bain de jouvence, comme l’explique Kele Okereke, chanteur et guitariste, rencontré par l’AFP à Paris.
« Jouer ces anciens titres m’a remémoré l’énergie de l’époque de +Silent alarm+. Ca nous a influencé, pas pour faire la même chose -je n’aime pas regarder le passé- mais pour nous indiquer là ou nous devrions aller », expose-t-il, dreadlocks sous bonnet rouge, gilet vert menthe zébré de noir.
« Alpha games », qui sort ce vendredi, permet à l’auditeur de remonter dans le grand huit, comme il y a 17 ans. Avec cette tension sourde des premiers titres « Day drinker » et « Traps » qui jaillit en geyser dans les dernières secondes de « Rough justice ».
L’approche abrasive de ce 6e disque vient aussi du climat politique de ces dernières années au Royaume-Uni et au-delà. « En tant que parolier, j’ai longtemps essayé de garder un angle positif, de mettre un peu de rose, y compris sur des choses blessantes, mais le monde a changé, notamment depuis Trump », assène l’artiste. « L’optimiste et rêveur en moi est un peu mort ».
« Un raciste, un porc »
Le Brexit a ainsi indirectement inspiré « Alpha games ». « Le Royaume-Uni se préparait à quitter l’Union européenne et c’était le chaos dans notre Parlement pendant l’écriture de l’album. Je ne voulais pas parler de politique, ni être didactique, mais j’évoque ceux qui mentent les yeux dans les yeux ».
Inutile de prononcer le nom de Boris Johnson, Kele Okereke y vient tout seul, sans jamais le citer. « Je suis dégoûté par ce que fait notre gouvernement et le Premier ministre est un putain d’affreux porc, un menteur ». « Comment expliquer à votre enfant que la personne en charge est un menteur, un raciste, un porc? Comment croire dans le système de ce qu’est devenu le Royaume-Uni ? », enchaîne-t-il d’un ton posé de conférencier.
Boris Johnson est actuellement empêtré dans le « Partygate », scandale des fêtes données aux 10 Downing Street lors des confinements. Et Kele Okereke, Anglais de parents nigérians, n’oublie pas qu’il fut pointé du doigt pour avoir écrit en 2018, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères, un article où il comparait les musulmanes portant le voile intégral à des « boîtes aux lettres » ou des « voleurs de banque ».
Dents derrière les pétales
On demande d’ailleurs au chanteur comment il explique les dérèglements du monde à sa fille de 5 ans et son fils de 2 ans, dans sa famille homoparentale. « A la maison, on essaye de les préserver, ils doivent rester des enfants. Il y a une guerre en ce moment en Ukraine et c’est très inconfortable de leur en parler ».
La géopolitique et ses trahisons se traduisent dans l’album par le thème des faux-semblants, comme dans « Rough justice », où une certaine jet-set pourrait bien cacher de sinistres criminels. « Comme dans le roman +Glamorama+ de Bret Easton Ellis où les mannequins étaient des terroristes, le côté visage public/visage privé m’intéresse », décrypte-t-il.
Dans « Kreuzberg », chanson du 2e album « A weekend in the city », Kele Okereke, alors âgé de 25 ans, pleurait dans le métro de Berlin, le coeur en miettes après une énième manipulation amoureuse.
Désormais, à 40 ans, comme il le chante dans « Callum is a snake », il sait renifler les relations toxiques et déceler les dents derrière les pétales. Le message est d’ailleurs porté dès la pochette de l’album, avec une plante carnivore d’un joli rose flashy, métaphore des menaces derrière une apparence innocente.
AFP