Le président russe Vladimir Poutine a prononcé, lundi, un discours très attendu à l’occasion de la cérémonie commémorant le 77e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jugée « décevante » par ceux qui s’attendaient à des annonces majeures, cette allocution a essentiellement cherché à démontrer que tout se déroule comme prévu en Ukraine.
Onze minutes en tout et pour tout. Le président russe Vladimir Poutine a limité la durée de son très attendu discours prononcé avant le début du défilé militaire du 9 mai et célébrant le 77e anniversaire de la défaite des nazis en 1945.
Surtout, ces onze minutes n’ont pas servi à dire grand-chose. « C’était un discours décevant, du moins du point de vue de l’observateur occidental », résume Allyson Edwards, spécialiste de la politique et du militarisme russes à l’université de Warwick.
Rester volontairement vague
Vladimir Poutine était pourtant attendu au tournant. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, l’occasion de ce défilé à haute valeur symbolique semblait trop belle pour ne pas être saisie par le président russe. « Il y a eu beaucoup de spéculation en amont de cet événement autour d’une possible annonce d’une mobilisation générale ou d’une déclaration permettant de clarifier les conditions d’une victoire aux yeux de Vladimir Poutine », résume Joanna Szostek, spécialiste la communication politique en Russie à l’université de Glasgow.
Au final, Vladimir Poutine a profité de ce discours prononcé sur la place Rouge pour louer les « forces armées [russes] qui se battent pour la mère patrie afin que personne n’oublie les leçons de la Seconde Guerre mondiale ». Il a également rejeté la faute de l’escalade militaire et de la guerre – sans la nommer ainsi – sur l’Otan et les États-Unis. Ce sont eux qui auraient aggravé les tensions en envoyant « des centaines de conseillers militaires » en Ukraine et qui auraient « amélioré les infrastructures militaires » de Kiev, obligeant Moscou de réagir à cette « agression ».
Rien de neuf sous le soleil, a priori. « C’est un discours servant, avant tout, à justifier ‘l’opération spéciale’ [terme utilisé par Moscou pour qualifier l’invasion en Ukraine, NDLR] », constate Allyson Edwards.
Dix semaines après l’entrée des chars russes sur le sol ukrainien, le Kremlin en est donc encore à se justifier. Il faut dire qu’il reste « beaucoup de monde à convaincre en Russie, entre ceux qui ont les moyens d’accéder aux médias occidentaux – donc essentiellement les plus aisés -, et les plus jeunes, qui sont la cible principale de la communication actuelle du pouvoir russe », résume cette spécialiste de l’université de Warwick.
Mais même dans ses justifications, Vladimir Poutine est « resté flou, voire s’est contredit, comme lorsqu’il cite à la fois le besoin de lutter contre la menace nazie en Ukraine, puis assure que Moscou n’a fait que réagir à une agression des États-Unis et de l’Otan », note Joanna Szostek.
Un discours qui dénotait, dans l’ensemble, d’un art consommé de l’imprécision. « Il veut que les observateurs, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, se perdent en conjectures quant à ses réelles ambitions en Ukraine. Ce qui lui permet de garder toutes les options ouvertes pour la suite des opérations », analyse Allyson Edwards.
Faire taire les rumeurs sur des problèmes de santé
Vladimir Poutine s’est aussi complu dans le flou « pour donner l’impression que tout était sous contrôle et que l’opération se passait comme prévu », estime Luke March, spécialiste de la politique russe à l’université d’Édimbourg. En évitant d’être trop concret, le président russe a ôté le pain de la bouche des « fact-checkers ». Une manière de dire « circulez, il n’y a rien à contester », résume Luke March.
Vladimir Poutine n’a même pas évoqué les combats à Marioupol, ni prononcé le nom de l’Ukraine. Là encore, le but consiste à « maintenir l’illusion que les affrontements sont limités à la région du Donbass, comme cela a été annoncé au début de ‘l’opération spéciale’, et qu’il n’y a eu aucun changement de stratégie depuis », analyse l’expert de l’université d’Édimbourg.
Un autre point attendu par les Occidentaux et que Vladimir Poutine n’a pas évoqué concerne une potentielle mobilisation pour soutenir l’effort de guerre. Pour nombre d’observateurs, Moscou ne pourra pas faire l’économie d’appeler des renforts sur le front si la Russie veut s’assurer la victoire militaire, et le discours du 9 mai aurait pu « être l’occasion de préparer la population à cette éventualité », assurait, par exemple, le site The Atlantic la semaine dernière.
Mais cet appel à des nouvelles levées de troupes « aurait donné l’impression à la population qu’il faut intensifier l’effort parce que l’armée russe a échoué jusqu’à présent », estime Allyson Edwards. Impossible pour le pouvoir de prendre ce risque. D’autant plus que la Russie n’a pas organisé de mobilisation générale ou partielle de ses réserves depuis la chute du régime soviétique. Une décision qui « ne cadrerait pas du tout avec le message que Vladimir Poutine tente de faire passer, qui consiste à suggérer que cette opération militaire n’est en rien extraordinaire et représente un nouvel épisode de l’affrontement entre la Russie et l’Occident », résume Luke March. Pour lui, une mobilisation prochaine n’est pas à exclure, mais elle sera décidée loin des projecteurs médiatiques.
Si la teneur du discours a pu décevoir ceux qui s’attendaient à des annonces majeures, « il ne faut pas oublier que cette prestation du président était aussi importante d’un point de vue de l’image », assure Joanna Szostek. Des rumeurs autour d’une dégradation de l’état de santé de Vladimir Poutine n’en finissent pas de circuler, et « il est apparu bien mieux portant ce matin que lors de ces dernières apparitions médiatiques », souligne cette spécialiste.
Certes, le discours « n’a pas duré très longtemps, mais le propos était bien articulé », reconnaît Luke March. C’était peut-être là le principal objectif de cette cérémonie du 9 mai : faire taire les rumeurs autour de la capacité de Vladimir Poutine à gouverner. Et montrer un président prêt à continuer à se battre encore longtemps.
france24