En avril dernier, le réalisateur lituanien Mantas Kvedaravičius perdait la vie en tentant de quitter Marioupol. Son documentaire, terminé par sa fiancée et ajouté à la dernière minute à la programmation du Festival de Cannes, expose sans fard l’enfer des Ukrainiens piégés sous les bombes, prisonniers de l’attente.
Devant l’église, qui leur sert désormais de refuge, deux Ukrainiennes discutent lorsqu’éclate le bruit sourd d’une explosion. « Vous pensez que c’était un mortier ? Au moins, aujourd’hui, il fait beau. » Bienvenue dans « Mariupolis 2 », le documentaire du réalisateur lituanien Mantas Kvedaravičius, présenté en séance spéciale au 75e Festival de Cannes.
Ce nouveau film est la suite d’un premier projet, tourné en 2014 et 2015 dans la ville portuaire de l’est de l’Ukraine, déjà en proie à de violents affrontements entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses.
Au mois d’avril, Mantas Kvedaravičius a été arrêté par les Russes alors qu’il tentait de quitter la ville, avant d’être retrouvé assassiné. Son film, terminé en un temps record par sa fiancée, Hanna Bilobrova, et ajouté à la dernière minute à la programmation du festival, est un témoignage rare et brut de la vie suspendue en temps de guerre.
Terrés dans le sous-sol d’une église sous les bombes
« Mariupolis 2 » expose la vie quotidienne d’Ukrainiens réfugiés dans le sous-sol d’une église alors que gronde autour d’eux le bruit sourd des bombardements. Ces fantômes passent l’essentiel de leur temps dans ce dortoir improvisé, le plus souvent dans la pénombre, sans électricité.
Lors des rares moments d’accalmie, hommes et femmes sortent de leur antre et s’activent pour déblayer les gravats, cuire de la nourriture sur un feu à même le sol, ou bien tenter de récupérer des victuailles dans les décombres. Dans cette nouvelle routine, faite d’attente, seule la destruction évolue, gagnant du terrain et menaçant toujours un peu plus de s’abattre sur le groupe.
Chaque jour, ces âmes se rassemblent pour une prière commune. « C’est Dieu et non ces murs qui nous maintiennent en vie. Allez voir la fosse commune du théâtre ou de l’usine », assène un soir l’un d’entre eux, en référence au théâtre de Marioupol, bombardé le 16 mars dernier avec des civils à l’intérieur, ainsi qu’à l’usine métallurgique Azovstal assiégée par les forces russes.
« Nous n’avons pas choisi l’église, c’est elle qui nous a choisis », explique Hanna Bilobrova, fiancée de Mantas Kvedaravičius et coréalisatrice du film. « C’était notre deuxième arrêt, et après cet arrêt, nous ne pouvions plus bouger. Nous étions littéralement coincés là avec cette communauté. »
Refus de la « guerre fiction »
Outre la puissance de son sujet, « Mariupolis 2 » se démarque par sa forme, qui s’apparente plus à un enchaînement de séquences qu’à un documentaire au sens traditionnel du terme.
Par la fenêtre, la caméra de Mantas Kvedaravičius scrute les colonnes de fumées, hypnotiques, qui caressent l’horizon. À distance, le réalisateur filme le groupe terré dans son sous-sol, à travers de longs plans fixes, comme pour illustrer cette vie désormais dénuée de repères. Parfois, il capte des témoignages, comme celui de ce père de famille malade, dont la voix s’élève, dans la pénombre du dortoir, pour expliquer qu’il a perdu sa femme et ne peut s’occuper de son jeune fils.
D’autres membres du groupe expriment, par petites touches, des réflexions ou évoquent leur vie d’avant. Mais à aucun moment, le film ne creuse les parcours personnels de ces hommes et femmes. De bout en bout, « Mariupolis 2 » maintient son approche brute et radicale.
« Nous sommes habitués à voir la guerre comme une fiction. Même dans les journaux télévisés, elle nous est présentée comme une fiction. C’est une représentation. Personne ne nous montre réellement les gens qui vivent sous la guerre », souligne Hanna Bilobrova, défendant l’approche de son compagnon décédé.
« Le cinéma permet de déplacer le récit. L’important, c’est la façon dont vous regardez les choses. Et Mantas nous a toujours regardés, nous, les gens, avec une grande liberté et sans idées préconçues », explique pour sa part Nadia Turincev, la productrice du film.
Tourné en quelques semaines puis monté en un mois, « Mariupolis 2 » permet au spectateur de vivre, en temps quasi réel, le calvaire des civils ukrainiens prisonniers de la guerre. Une prouesse remarquable et émouvante, qui, présentée à Cannes, honore de la meilleure des manières la mémoire de son défunt réalisateur.
france24