A la suite d’une restauration, des fresques spectaculaires ont été découvertes sur les plafonds du temple de Khnoum, à Esna, en Egypte.
Quand la poussière millénaire dissimule des trésors aux couleurs polychromes… Le nettoyage des fresques du temple d’Esna, un édifice religieux longtemps abandonné, situé sur la rive ouest du Nil à 60 km au sud de l’ancienne capitale thébaine, l’actuelle Louxor (Egypte), a révélé les décors originaux de divinités aux ailes déployées, disposées en deux rangées sur l’axe central de son plafond.
« Avant-Après » : Une section du plafond de l’ancien temple d’Esna, et ses divinités aux ailes déployées, pendant le processus de nettoyage.
Le culte de Khnoum, le Maître de l’eau fraîche
Ce monument était voué au culte de Khnoum, le dieu égyptien à tête de bélier, dit aussi le Maître de l’eau fraîche. La construction du naos, le corps principal du sanctuaire aujourd’hui disparu, avait débuté vers 170-164 avant notre ère, sous les règnes conjoints de Ptolémée VI et VIII, autrement dit à l’époque lagide, celle des dynasties hellénistiques d’Egypte.
Façade du pronaos du temple dédié à Khnoum, à Esna, en Egypte.
Et c’est dans le vestibule (pronaos) du complexe architectural d’origine, seul à avoir traversé les siècles, que les découvertes ont été réalisées. « Nous avons retrouvé 46 représentations de divinités sur la section centrale du plafond restauré. 24 avec la tête de Nekhbet, la déesse-vautour à la couronne blanche protectrice de la Haute-Egypte, et 22 autres, avec celle de Ouadjet, la déesse à tête de cobra de la Basse-Egypte« , explique Daniel von Recklinghausen, archéologue de l’université de Tübingen (Allemagne) joint par Sciences et Avenir. Le chercheur étudie ce site depuis 2018 avec Christian Leitz, en collaboration avec le département du ministère des Antiquités Egyptiennes, au Caire, et les Dr. Hisham El-Leithy et Mustafa Ahmed.
Divinités à têtes de vautour dégagées de leur gangue de salissure.
Considéré comme un des derniers exemples survivants de l’architecture religieuse égyptienne de la période gréco-romaine (332 avant J.-C. – 350 après J.-C.), -à l’instar des temples de Philae, Kôm Ombo, Edfou, Athribis ou Denderah-, concernant le site d’Esna, l’ancienne Iounyt et Latopolis que visitent parfois quelques touristes passionnés, l’égyptologue allemand a précisé « que la construction du pronaos, l’élément d’époque romaine dans lequel ont été restaurés les peintures, remonte probablement au règne de Tibère (14-37 après J.-C.), même si l’on ne peut pas exclure la possibilité qu’il ait pu être également construit sous celui de Claude (42-54 après J.-C.) ». Une influence romaine rappelée par certains décors ornant les chapiteaux des 18 colonnes soutenant la toiture, avec leurs motifs en feuilles de palmier, de papyrus, de bourgeons de lotus, et surtout de grappes de raisin. Des travaux de décoration qui ont duré jusqu’au milieu du 3e siècle de notre ère.
A 15 m de haut, les chapiteaux colorés des colonnes du pronaos (salle hypostyle) pendant les restaurations.
La découverte des éléments de décor coloré du plafond
La découverte de ces fresques de divinités n’a néanmoins pas été une surprise pour les spécialistes. « Dans les temples égyptiens, ces représentations étaient souvent peintes à l’aide de couleurs brillantes, lesquelles se sont estompées au fil des siècles« , explique Christian Leitz. Ainsi à Esna, après 2000 ans d’oubli, les couleurs chatoyantes et vibrantes d’origine ont disparu sous une sombre couche de terre et de suie. Les couleurs étaient en effet censées donner l’apparence de la vie en animant les décors de façon symbolique selon les croyances des anciens égyptiens.
Au sommet d’une colonne restaurée, le cartouche de l’empereur Hadrien (117-138) représenté sous la protection du dieu Khnoum.
Bien que le complexe religieux d’Esna ait été étudié dans les années 1963-1975 par l’ancien directeur de l’Institut archéologique français du Caire (IFAO), l’égyptologue Serge Sauneron brutalement disparu dans un accident de voiture en 1976, les éléments de décor coloré du plafond du temple de Khnoum n’avait jamais été vus dans toute leur splendeur jusqu’à cette restauration.
Phase de nettoyage d’une colonne avec apparition des couleurs d’origine après traitement.
Ces travaux en cours ont également permis de relever, dans la partie astronomique du plafond, des descriptions des constellations de la Grande Ourse (Meskhtiu) et d’Orion (Sah), ainsi que d’autres, totalement inconnues. Ahmed Imam, directeur de l’équipe de restauration a déclaré avoir ainsi mis au jour une inscription grecque réalisée à l’encre rouge enregistrant, d’après le calendrier des Ptolémées, le 5e jour du mois Epiphi, une date qui pourrait être associée au règne de l’empereur romain Domitien (81-96 après J.-C.). « Comme il semble s’agir d’une inscription commémorant la mort de cet empereur, nous attendons que la restauration de cette partie du temple soit achevée pour en connaître le déchiffrement complet« , a ajouté Daniel von Recklinghausen.
Constellation circumpolaire de la Grande Ourse, sous forme de patte de taureau. Sept étoiles sont attachées à un pieu retenu par une déesse au corps d’hippopotame.
Au 19e siècle, sous le règne d’Ali Pacha (1805-1840), cernée par les effets de l’urbanisation, les vestiges du temple de la petite bourgade agricole d’Esna avaient servi d’entrepôt pour stocker des balles de coton. Aujourd’hui, il retrouve la protection des divinités ailées.
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