Sa voix transcende, depuis des décennies, les frontières ténues du continent africain dont il est l’un des gardiens intraitables du patrimoine culturel. Invité à la semaine Africaine de l’Unesco à Paris, pour faire un exposé sur l’histoire et la sauvegarde du patrimoine en Afrique par le biais de la transmission intergénérationnelle, Dr Massamba Guèye a sursauté quand des interrogations ont fusé sur les capacités de l’Afrique à conserver les objets de son patrimoine qu’elle réclame au musée du Quai Branly (7e arrondissement de Paris).
« Je ne suis pas un africain d’Europe. Je suis un africain d’Afrique. Donc je vais parler d’Afrique, de la réalité que je vis au quotidien pas d’une image que j’ai de l’Afrique. J’ai la chance d’être membre du conseil d’administration du musée des civilisations noires de Dakar, d’être conteur et enseignant à l’université », lance-t-il d’emblée. Avant d’asséner sans langue de bois : « Le voleur ne demande pas à celui qu’il a volé ce qu’il fera des biens restitués. Le monde qui nous a volé nos objets n’a absolument aucun point de vue sur ce que nous devons faire des biens culturels pillés. Si nous voulons les brûler ou les jeter, nous le ferons. Mais qu’ils nous les rendent d’abord. Il n’ont pas à nous poser une condition pour nous les rendre ».
Il jette ainsi un gros pavé au processus de restitution des objets africains gardés au Quai Branly. Des conditions sont, en effet, posées pour la restitution de ce patrimoine africain. D’ailleurs, le sabre de Cheikh Oumar Foutiyou Tall que l’ancien premier ministre français Edouard Philippe avait amené dans ses bagages lors d’une visite officielle à Dakar, est reparti après quelques jours. Selon lui, ces œuvres sont vidées de leur âme qui réside en fait dans l’oralité. Et, contrairement à ce que certains intellectuels « déconnectés » de la réalité africaine pensent, la transmission de la quintessence de ce patrimoine culturel, est en train de se faire dans le continent.
« Nous intellectuels africains devons arrêter d’être des névrosés »
« Il y a dans cette salle pour répondre à notre thématique un cadre sénégalais qui vit en France et qui aujourd’hui approche de la quarantaine. Il m’a connu grâce à une émission de radio que j’anime depuis 21 ans qui s’appelle contes et légendes où j’essaie chaque mercredi de partager un conte d’Afrique avec des jeunes de mon continent. Ce sont des milliers que j’ai connus grâce à cette technique de transmission. Il fallait répondre au contenu mondial par un contenu local qui ancre les enfants et qui les ouvre. Parce qu’avec une mémoire d’emprunt même nos rêves nocturnes dans le Sahel ont des parfums de printemps d’ailleurs », souligne-t-il invitant les intellectuels à quitter les salles de réunion pour descendre sur le terrain.
Dr Massamba Guèye, rappelle dans ce sillage que : « rendre hommage aux ancêtres ce n’est pas vénérer les ancêtres. C’est transmettre à leurs descendants les choses essentielles qui vont donner un sens à leur vie. Il s’agit de savoir où sont les jeunes générations pour aller les trouver et leur proposer un contenu mémoriel, pour les reconnecter avec la mémoire traditionnelle moulée dans un parfum de modernité avec des outils de modernité. Il ne s’agit pas de théorie. Il s’agit de transmettre ».
Fustigeant toujours l’attitude de certains intellectuels africains qui regardent le continent avec des lunettes déformantes, l’ancien directeur général du théâtre national Daniel Sorano de Dakar les invite à une introspection. « Nous intellectuels africains devons arrêter d’être des névrosés. Nous sommes dans une soupe mondiale. Mais sommes-nous réellement enracinés ? Sommes-nous capables dans nos langues maternelles de tenir un discours à concepts pendant une heure sans y mêler un mot d’occident. Nous parlons à qui ? Nous parlons pour qui ? », s’interroge-t-il.
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