États-Unis : après la fusillade au Texas, la position délicate du gouverneur Greg Abbott

Texas Gov. Greg Abbott speaks during a news conference in Uvalde, Texas Wednesday, May 25, 2022. The 18-year-old gunman who slaughtered 19 children and two teachers at a Texas elementary school barricaded himself inside a single classroom and "began shooting anyone that was in his way," authorities said Wednesday in detailing the latest mass killing to rock the U.S. (AP Photo/Dario Lopez-Mills)

Alors que les États-Unis sont en deuil après la fusillade dans la ville texane d’Uvalde, qui a fait mardi 21 morts, principalement des enfants, le débat sur le contrôle des armes est relancé. Le gouverneur du Texas, Greg Abbott, qui a regretté un drame « atroce et insensé » est sous le feu des critiques des citoyens et des chercheurs. Ces derniers pointent le fait que cet ultra-conservateur a allégé les contrôles des armes à feu à plusieurs reprises et appelé les Texans à en acheter davantage.

« Les Texans pleurent les victimes de ce crime insensé, [nous] pleurons cette perte horrible et exhortons tous les Texans à se rassembler », a tweeté mardi 24 mai le gouverneur du Texas, Greg Abbott, après la fusillade dans cette ville près de la frontière avec le Mexique. Quelques heures auparavant, un adolescent âgé de 18 ans avait ouvert le feu dans une école primaire, tuant 19 enfants âgés d’une dizaine d’années et deux enseignants. Et ce « d’une façon atroce et insensée » a ajouté cet ultraconservateur. Le tireur a ensuite été abattu par la police.

Le drame a choqué les États-Unis et de nombreux autres pays. « Il est temps de transformer la douleur en action », a réagi Joe Biden, visiblement ému, dans une allocution solennelle à la Maison Blanche. « Quand, pour l’amour de Dieu, allons-nous affronter le lobby des armes ? », a lancé le président américain, se disant « écœuré et fatigué » face à la litanie des fusillades en milieu scolaire.

Peu après la tuerie, de nombreux internautes ont remis en lumière les anciens tweets du gouverneur : « J’ai HONTE : le Texas est le deuxième du pays dans les nouveaux achats d’armes à feu, derrière la CALIFORNIE. Accélérons le rythme, les Texans », avait tweeté Greg Abbott, en octobre 2015.

Des observateurs, spécialistes et simples citoyens accusent Greg Abbott « d’hypocrisie ». Car ce républicain a lui-même annoncé en janvier 2022 avoir « signé plus de vingt lois pour protéger les droits du deuxième amendement [de la Constitution américaine – garantissant le droit au port d’armes] », a-t-il dit en déclarant sa candidature à un troisième mandat de gouverneur.

« C’est de votre faute ! », lui a ainsi lancé, mercredi, lors d’une conférence de presse, son rival démocrate, Beto O’Rourke, qui l’affrontera lors des prochaines élections pour le poste de gouverneur, en novembre 2022.

Si les mobiles du tireur d’Uvalde sont encore inconnus, le jeune américain aurait acheté un fusil, des munitions et une tenue paramilitaire de façon légale. « Vous dites que cela n’était pas prévisible, c’était complètement prévisible à partir du moment où vous avez décidé de ne rien faire », a fustigé le démocrate de 49 ans. « Je défends les enfants de cet État pour que cela ne se reproduise plus », a-t-il ajouté.

« Ultraconservateur » aux « positions très dures »
« Greg Abbott est un ultraconservateur : il a remplacé Rick Perry, qui est arrivé après George W. Bush, et suit la même tradition « , explique à France 24 Françoise Coste, professeure de civilisation américaine à l’université Toulouse-Jean-Jaurès. « Sa grande différence est qu’il est handicapé [il est paraplégique depuis un accident à 26 ans], chose rare dans la vie politique américaine et républicaine. Certains auraient pu penser qu’il serait par conséquent empathique et aurait une sensibilité sociale, mais c’est bien le contraire : il est connu pour des positions très dures, notamment sur les armes, l’avortement et l’immigration. »

Depuis juin 2021, ce soutien indéfectible de l’ex-président Donald Trump a signé plusieurs lois emblématiques pour les conservateurs américains, commençant par un texte autorisant tout texan majeur à porter une arme à feu en public et à demander une licence. En septembre, l’État du Sud a commencé à appliquer une des lois anti-avortement les plus restrictives des États-Unis.

« Mais il est très hypocrite : comme son parti, Greg Abbott insiste sur le fait que les tueries ne sont qu’une question de santé mentale. Mais il est contre l’Obamacare ! Il est donc contre les programmes qui permettraient d’établir un suivi psychiatrique pour les plus défavorisés », résume la chercheuse.

Dans sa conférence de presse, mercredi, Greg Abbott a répété plusieurs fois que l’assaillant était une « personne démente », « sans antécédents criminels, ni de maladie mentale ». Bien qu’il ait insisté sur le fait qu' »il n’y a pas eu d’information qui aurait pu laisser prévoir [ce drame] », le gouverneur a toutefois insisté sur « la recrudescence de problèmes de santé mentale dans la ville d’Uvalde, selon les autorités locales ».

« Il se délecte à exploiter les différences idéologiques entre les rouges et les bleus [les républicains et les démocrates] », dit la chercheuse. « Non seulement il exacerbe ces positions, mais il fait également d’horribles blagues à ce sujet, comme pour ce tweet sur les ventes d’armes. »

Favori aux élections de gouverneur malgré un « manque de charisme »
Mais Greg Abbott n’a pas le « charisme » de ses prédécesseurs, il est plutôt une « énigme », estime le mensuel Texas Monthly. « Dans l’ensemble, il s’est plutôt concentré sur ce à quoi il s’oppose : le programme ‘libéral radical’. »

Cette stratégie semble porter ses fruits : le républicain de 63 ans n’a jamais perdu une échéance électorale et est le favori aux élections de gouverneur prévues en novembre, malgré « une voix robotique », selon le site Politico. Avant même de déclarer sa candidature à un troisième mandat à la tête du Texas, en janvier, il avait déjà levé 55 millions de dollars (environ 52 millions d’euros) pour sa campagne – plus que n’importe quel autre candidat texan – en plus du soutien de Donald Trump.

« Il est sur la même ligne que l’ex-président, et cela suffit à rassurer les électeurs, car ses idées vont de soi », complète Françoise Coste. « Son manque de charisme n’est pas très grave au niveau local ».

Abbott prévu pour parler devant le NRA
Mais beaucoup de voix s’élèvent contre lui après la tuerie d’Uvalde. D’autant que, selon le journaliste de la MSNBC Kyle Griffith, le gouverneur devait prendre la parole à la rencontre annuelle du lobby pro-armes américain, le National Rifle Association (NRA), vendredi 27 mai. Une intervention prévue de longue date, mais qui tombe mal. D’autant que l’événement est prévu à Houston, « à quelques centaines de kilomètres d’Uvalde », en présence du sénateur républicain du Texas Ted Cruz et l’ex-président Donald Trump.

« Malgré ses contradictions, Greg Abbott ne va pas changer d’opinion sur les armes à feu, car cela signerait la fin de sa carrière : à chaque fois qu’un républicain texan a mentionné un éventuel contrôle des armes, c’était sa mort politique », précise Françoise Coste.

En face, le premier rival démocrate crédible depuis des années
Son rival pour le poste de gouverneur, Beto O’Rourke, semble vouloir capitaliser sur ce débat relancé autour de la prolifération des armes à feu. La nouvelle « star » du parti démocrate a tweeté mercredi que « ces massacres ne sont pas des catastrophes naturelles, ni des actes de Dieu, ni le fruit du hasard. Ce sont des conséquences directes et totalement prévisibles des choix faits par Greg Abbott et la majorité des membres du corps législatif ».

Ce jeune candidat démocrate veut « tester le pouvoir de son camp » en novembre, dans un État solidement conservateur mais « dont la population s’est beaucoup diversifiée ces dernières années », selon le New York Times. « Ces élections seront intéressantes, car les démocrates ne suscitaient pas l’envie des électeurs texans jusque-là et cela a changé », poursuit Françoise Coste. « Et il sera très généreusement financé par le parti, donc la course sera compétitive ».

« Mais il a très peu de chances de gagner », écarte la chercheuse, et ce malgré le dernier drame.

Pas de changement de position
Car le débat tourne pratiquement à vide étant donné l’absence d’espoir d’une adoption par le Congrès d’une loi nationale ambitieuse sur la question. Chris Murphy, sénateur démocrate de l’État du Connecticut (nord-est des États-Unis), a « supplié » mardi ses collègues élus d’agir, assurant que ces tragédies n’étaient pas « inévitables » : « Cela n’arrive que dans ce pays, et nulle part ailleurs. Dans aucun autre pays les enfants ne vont à l’école en pensant qu’ils pourraient se faire tirer dessus ».

Mais selon Françoise Coste, ces appels sont vains : « Les fractures idéologiques sont encore plus radicales depuis la présidence de Donald Trump, tout le parti a dû le suivre dans la radicalisation ».

Les États-Unis – pays le plus lourdement armé du monde, selon le groupe suisse de chercheurs Small Arms Survey – ne peuvent pas changer leurs règles sans l’accord de 60 sénateurs fédéraux sur 100. Alors que les États ruraux, plutôt favorables au port d’armes, ont déjà une surreprésentation au Sénat, la chambre haute est partagée à égalité totale entre démocrates et républicains.

« Il n’est pas possible de changer les républicains actuellement. Si la fusillade de Sandy Hook [qui a fait 26 victimes en 2012, dont 20 enfants âgés de 6 et 7 ans, NDLR] n’a pas été suffisante pour inciter à un changement, celle-ci n’y fera rien non plus », regrette Françoise Coste.

france24

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