Depuis le début du mois de mars, le Secours catholique organise au CEDRE des ateliers de discussions politiques tous les mardis pour les exilés qui fréquentent le centre parisien. Pour les sans-papiers qui y participent, c’est l’occasion de prendre part à la vie politique du pays où ils vivent. À deux semaines du premier tour des élections législatives, ils ont décidé d’interpeller les candidats sur leur situation.
Dans une grande salle du sous-sol du Centre d’entraide dédié aux personnes exilées (CEDRE) du Secours catholique, dans le nord de Paris, des canapés ont été disposés face à un mur rose fuchsia. Ce mardi 24 mai, ils ne sont que cinq à être venus discuter de politique française, mais d’habitude, les ateliers politiques lancés par les équipes du centre rassemblent une bonne dizaine de personnes.
« L’objectif aujourd’hui, c’est de préparer la rencontre avec les candidats », annonce Adrien Cornec, chargé d’accompagnement au CEDRE. Ce dernier invite les participants à dresser la liste de leurs problèmes actuels et les solutions qu’ils souhaiteraient proposer pour les résoudre. Leurs propositions reflètent les difficultés rencontrées au quotidien par les sans-papiers en France. « Il faut simplifier les démarches administratives. C’est compliqué d’avoir un rendez-vous en préfecture pour demander un titre de séjour », déplore Boubou, 24 ans. « Pourquoi on ne pourrait pas travailler avec un récépissé de demande d’asile ? », interroge, à côté de lui, Camara. « On veut travailler légalement et cotiser », avance, lui, Adolfo, 57 ans.
Depuis le début du mois de mars, ce petit groupe se rassemble chaque mardi pour débattre de politique et imaginer comment ils pourraient utiliser ce levier pour améliorer leur quotidien. Au fil de leurs discussions, deux revendications principales émergent : faciliter l’accès aux titres de séjour pour les étrangers et développer les moyens de sortir les sans-abris de la rue.
Depuis le mois de mars, @caritasfrance propose aux migrants de participer à des "ateliers politiques" à #Paris. Le but : "Donner aux exilés l'occasion de parler des politiques qui parlent d'eux à longueur de discours" et lister des demandes pour les candidats #legislatives2022 1/ pic.twitter.com/wwdHUpttXm
— Julia Dumont (@Julia_Dmt) May 25, 2022
À l’approche des élections législatives des 12 et 19 juin, les exilés ont rédigé une lettre pour sensibiliser les candidats à ces problématiques. Le courrier a été envoyé aux candidats de Renaissance (parti présidentiel) et de la NUPES (gauche) de la 16e circonscription de Paris, où se trouve le Cèdre, ainsi qu’à ceux de la circonscription voisine, de Pantin-Aubervilliers.
En tête des préoccupations des exilés : l’absence de titre de séjour qui les empêche de signer des contrats de travail en bonne et due forme et les expose à toute sorte d’exploitation. Employés dans le secteur du bâtiment, les participants au débat ont tous une histoire à raconter de patrons qui ne respectent pas leurs droits et les mettent en danger.
« Moi j’ai déjà travaillé 10 jours pour un patron sur un chantier. Il devait me payer 60 euros par jour mais il ne m’a jamais rien donné. Alors je suis parti », raconte Ousmane, veste bleue sur le dos et casquette beige sur la tête. « Dans les chantiers, ce sont les tâches les plus difficiles qui sont données aux sans-papiers, affirme, à ses côtés, Boubou. « Et on ne nous donne pas d’équipement. Une fois, j’ai failli me faire transpercer le pieds par un clou parce que je n’avais pas de chaussures de sécurité. Depuis, j’en ai achetées moi-même », explique le jeune homme au visage juvénile.
Les participants ont deux demandes principales : faciliter l'accès à un titre de séjour pour les étrangers et aider les personnes sans-abri à sortir de la rue. Ils ont adressé une lettre aux candidats #legislatives2022 et espèrent pourvoir les rencontrer 2/ pic.twitter.com/Yof7nE8LSC
— Julia Dumont (@Julia_Dmt) May 25, 2022
Pour beaucoup, la politique est au cœur même du parcours d’exil
Pour les équipes du Secours catholique, ces ateliers politiques présentent un double avantage. « Donner aux exilés l’occasion de parler de ces hommes politiques qui parlent d’eux à longueur de discours », mais aussi « leur donner des clés de compréhension de la société dans laquelle ils vivent », souligne Adrien Cornec.
D’autant plus que la politique est au cœur même du parcours d’exil de beaucoup des personnes qui fréquentent le CEDRE. « De nombreuses personnes ont quitté leur pays à cause de leurs opinions politiques et continuent à en débattre beaucoup. On a créé cet espace pour leur faire comprendre que, même si elles n’ont pas le droit de vote, elles ont tout intérêt à s’intéresser à ce qu’il se passe pendant une mandature parce que ça va avoir un impact sur elles », précise Adrien Cornec.
Les ateliers ont commencé début mars par des séances de discussions sur les candidats et leurs programmes. « On leur avait demandé de classer les propositions des candidats, sans leur dire si elles venaient d’un candidat de gauche ou de droite. C’est à partir de là qu’ils ont porté un intérêt à Jean-Luc Mélenchon », se remémore-t-il.
« Il soutient les étrangers », affirme en souriant Boubou. « Si l’élection s’était passée ici, c’est lui qui aurait été élu », lance-t-il en riant. C’est aussi l’avis d’Adolfo. Cet Angolais, arrivé en France en 1990, se passionne pour l’actualité politique. Chacune de ses visites au CEDRE commence immuablement par la lecture de la presse. Ce mardi, à son arrivée dans le centre, il se plonge dans un numéro du quotidien La Croix vieux de quelques jours. « Je regarde aussi LCI et BFM », assure-t-il avec fierté.
La séance se termine par une mise en scène. Deux exilés doivent jouer ce qu’ils diront aux candidats aux élections législatives quand ils les rencontreront. « Si je rencontrais un député, je lui dirais qu’il nous représente aussi parce qu’on vit ici, déclare Boubou. Et d’ajouter comme s’il s’adressait aux candidats : « On voudrait que vous nous défendiez à l’Assemblée nationale pour nous faire sortir de la précarité ».
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