Mémorandum du Département d’Etat américain – « Le Groupe Wagner, Evgueni Prigojine et la désinformation de la Russie en Afrique »

Russian businessman Evgeny Prigozhin looks on before a meeting of Russian President Vladimir Putin and his Chinese counterpart Xi Jinping with representatives of civic organisations, business and media communities at the Kremlin in Moscow, Russia July 4, 2017. REUTERS/Sergei Ilnitsky/Pool - UP1ED7419D35G

Nous suivons des informations extrêmement inquiétantes selon lesquelles un grand nombre de personnes ont été tuées plus tôt cette semaine dans le village de Moura, dans la région de Mopti, au centre du Mali… Nous sommes préoccupés par le fait que de nombreux rapports suggèrent que les auteurs de ces exactions étaient des forces incontrôlées du groupe Wagner soutenu par le Kremlin. » (Le porte-parole Ned Price. Le 3 avril 2022).

La Russie a recours à la désinformation sur différents continents pour des objectifs variés, souvent par l’intermédiaire de mandataires avérés au service indirectement des objectifs de politique étrangère du Kremlin, ce qui laisse la porte ouverte aux démentis. Dans certaines régions d’Afrique – notamment, plus récemment, au Mali – des mandataires liés au Kremlin exploitent l’instabilité pour élargir son influence, en particulier par la désinformation et le déploiement des forces du groupe Wagner.

Le groupe Wagner et Evgueni Prigojine

Le groupe Wagner, soutenu par le Kremlin, exploite l’insécurité pour étendre sa présence en Afrique, au péril de la stabilité, de la bonne gouvernance et du respect des droits humains. Evgueni Prigojine, que l’on appelle aussi le « chef de Poutine » en raison de ses contrats de restauration avec le Kremlin, est un oligarque russe et le chef et bailleur de fonds de Wagner. Bien que les responsables russes refusent d’admettre tout lien avec le groupe Wagner, le gouvernement russe a au moins connaissance des activités de ce groupe ou se sert de ce groupe et d’autres entités appartenant à Prigojine comme mandataires pour diffuser de fausses informations et mener des opérations secrètes et armées à l’étranger, notamment au Mali, en République centrafricaine, en Libye, en Syrie et en Ukraine. Les États-Unis, l’UE et le Royaume-Uni ont sanctionné Prigojine, notamment en imposant des mesures de rétorsion visant son réseau d’influence malveillante en Afrique.

Wagner arrive au Mali en proie à la désinformation

Fin 2021, des rapports ont fait état du déploiement probable des forces du groupe Wagner au Mali, un pays dont l’armée avait pris le pouvoir deux fois en moins d’un an et qui continuait de lutter contre une menace terroriste croissante exploitant des populations marginalisées et une gouvernance historiquement faible. Les forces du groupe Wagner se sont déployées au Mali en décembre 2021 en se présentant comme capables de contrer la menace terroriste, au milieu d’un déluge de désinformation ciblée pour dissimuler son arrivée et ses activités.

Le rapport de février 2022 du Digital Forensic Research Lab a révélé que dans les mois qui ont précédé le déploiement de Wagner, un réseau coordonné de pages Facebook au Mali présentait la Russie comme un « partenaire viable » et « une alternative à l’Occident », encourageait le report des élections démocratiques et tentait de susciter un soutien local pour Wagner. Les médias locaux se sont souvent fait l’écho de ces récits en publiant des entretiens avec des responsables russes qui vantaient les « conseillers » de Wagner tout en affirmant que le groupe était la « victime injuste » d’une « guerre de l’information » en raison de son rôle dans la « destruction du système néocolonial ». Maxim Shugaley, président de la Fondation pour la protection des valeurs nationales (FZNC), un groupe de réflexion russe lié à Prigojine et sanctionné par les États-Unis, a critiqué la mission de maintien de la paix de l’ONU (MINUSMA) au Mali (déployée depuis 2013 pour soutenir la mise en œuvre d’un accord de paix, protéger la population civile et faciliter l’aide humanitaire) affirmant à tort que l’ONU « crée des organisations terroristes ».

Le président Poutine a admis que des organisations militaires russes privées opèrent au Mali, mais a nié que son gouvernement joue un rôle quelconque dans leurs activités. En mai 2022, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a également admis que Wagner était au Mali mais sur une « base purement commerciale ». Malgré ces aveux, le gouvernement de transition malien actuellement au pouvoir, dirigé par les putschistes d’août 2020, continue de nier la présence des forces wagnériennes.

Implication de Wagner dans des atrocités perpétrées au Mali

En dépit de signalements de plus en plus nombreux d’atrocités commises par le groupe Wagner au Mali depuis son arrivée en 2021, l’écosystèm e de désinformation et de propagande de la Russie continue de diffuser de faux récits pour détourner l’attention et éviter toute responsabilité.

** Moura : Des informations ont émergées fin mars 2022 sur le massacre d’au moins 300 civils dans le village de Moura, au centre du Mali. Des témoins ont rapporté que les forces maliennes et environ 100 hommes russophones ont aligné les victimes en rangées de 15 à 20 personnes, leur ont dit de s’agenouiller et les ont exécutées. L’ONG Human Rights Watch a qualifié les meurtres de Moura de pire atrocité au Mali depuis plus d’une décennie. Le gouvernement de transition malien a nié l’implication de son armée et a affirmé que les troupes participaient à des opérations antiterroristes dans la région. Le média russe de désinformation à l’étranger, RT, a repris cette version fausse des faits.

** Gossi : Juste à l’extérieur du village malien de Gossi, les forces françaises se sont retirées le 19 avril d’une base militaire à partir de laquelle elles avaient mené des opérations conjointes avec leurs homologues maliens pendant plusieurs années. Quelques jours après le retrait des forces françaises, un compte Twitter du nom « Dia Diarra » a publié des images pixélisées de cadavres qui auraient été déterrés près de la base et a affirmé que les troupes françaises étaient responsables de ces morts. Les autorités militaires françaises ont répondu que le compte Twitter de Dia Diarra était « un faux… créé par Wagner » et s’inscrivait dans le cadre d’une « opération de désinformation ». La France a ensuite pr ésenté des vidéos où l’on voit une douzaine de personnes, probablement des membres de Wagner, et des soldats maliens près de la base de Gossi alors que les soldats blancs recouvraient les corps de sable. Le président du FZNC, Shugaley, a tenté de détourner l’attention en accusant la France d’avoir « fabriqué des documents vidéo » pour accuser à tort Wagner afin que les forces françaises puissent « commettre des massacres en toute impunité ». Un analyste de la sécurité régionale a déclaré que la vidéo de la France avait « contrecarré cet effort de désinformation russe ».

La désinformation liée à Prigojine dans toute l’Afrique

Les activités de désinformation de Prigojine vont bien au-delà du Mali et s’étendent à certaines parties de l’Afrique au service des objectifs du Kremlin ou des intérêts particuliers de Prigozhin. À travers des sociétés qui exploitent les ressources naturelles de l’Afrique, des agents politiques qui affaiblissent les acteurs démocratiques, des sociétés écrans se faisant passer pour des ONG et par la manipulation des médias sociaux, Prigojine diffuse de fausses informations pour influencer la politique africaine en faveur de la Russie.

Prigojine est surtout connu pour avoir financé l’Internet Research Agency (IRA), une usine à trolls dont on sait qu’elle s’est à plusieurs reprises ingérée dans les élections américaines, mais également active dans le domaine de la désinformation dans le monde entier, y compris en Afrique. Les réponses des entreprises de réseaux sociaux aux activités de désinformation de Prigojine en Afrique montrent l’étendue de ses activités :

** Des opérations de suppression de comptes de Facebook/Meta en janvier 2022 ont révélé des entités liées à l’IRA ciblant des journalistes africains principalement au Nigeria, au Cameroun, en Gambie, au Zimbabwe et au Congo pour les inciter à publier à leur insu des articles au nom de l’IRA.

** Une opération de suppression de comptes de Twitter en République centrafricaine (RCA) en décembre 2021 a révélé un mélange de comptes non authentiques et réels liés à l’IRA qui visaient à introduire un point de vue pro-russe dans le discours politique de la RCA.

** Une opération russe ciblant la RCA et, dans une moindre mesure, Madagascar, le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Mozambique, l’Afrique du Sud et la communauté de la diaspora centrafricaine en France, a été mise en lumière lors d’une opération de suppression de comptes de Facebook/Meta en décembre 2020. Elle a révélé de faux comptes et des comptes compromis liés à l’IRA qui avaient pour objet de solliciter des articles de la part de journalistes locaux, d’influencer les prochaines élections centrafricaines, de discuter positivement de la présence de la Russie en Afrique subsaharienne et de critiquer la politique étrangère française. L’un des principaux objectifs de cette opération était de nuire à des élections démocratiques.

Conclusion

L’intensification de la désinformation par la Russie et l’utilisation du groupe Wagner dans l’ensemble de l’Afrique ont conduit à une traînée de mensonges et de violations des droits humains. Malgré les sanctions des États-Unis, de l’Union européenne et du Royaume-Uni, et la mise à nu d’entités liées à Prigojine qui diffusent de fausses informations, ces acteurs continuent d’opérer en Afrique et exploitent l’instabilité par le biais de la désinformation pour amener l’opinion publique à se rallier au gouvernement russe, qui étend ainsi son influence.

Département d’Etat des Etats-Unis

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