La 75e édition du Festival de Cannes s’apprête à tirer sa révérence, avec l’annonce, samedi soir, du palmarès tant attendu. Pour faire le bilan, France 24 est allé à la rencontre de critiques de cinéma internationaux qui racontent leur expérience cannoise et nous donnent leur pronostics.
Dans le Palais des festivals, sur la terrasse réservée à la presse, Aldo Spiniello sirote un verre de rosé. Un rare moment de répit, quelques heures avant sa prochaine séance, le film du réalisateur espagnol Albert Serra, “Pacifiction”, présenté en compétition.
Pour lui, la cérémonie de clôture du 75e Festival de Cannes, samedi 28 mai au soir, marquera la fin d’un long marathon. “Je regarde en moyenne trois films par jour. Sur un événement comme Cannes ça fait environ 35 long métrages », explique-t-il. “Il me manque encore quelques films sur les 21 en compétition mais je chronique aussi ceux des sections parallèles”.
Aldo Spiniello est critique de cinéma. C’est la onzième fois qu’il couvre le Festival de Cannes pour la revue en ligne Sentieri Selvaggi, nom italien du classique de John Ford “La Prisonnière du désert” (1956), qui possède sa propre école de cinéma à Rome.
“Je rédige une à deux critiques par jour sans jamais prendre de notes pendant les films », précise t-il. “J’écris dans la foulée des séances ou le lendemain. Il m’arrive d’oublier des scènes bien sûr, c’est normal, mais le sentiment lui reste et c’est cela que je veux traduire dans mes critiques ».
Pour tenir le rythme, le quadragénaire évite la tentation des nombreuses fêtes cannoises, facilement accessibles aux journalistes. “Pas de soirées, juste quelques bières », précise-t-il. “Je dors quatre ou cinq heures par nuit. Pour moi cet aspect fait aussi partie de l’expérience”.
Éclectisme et engagement
Fort de ses quelque 4 000 journalistes accrédités, Cannes se revendique d’être le deuxième évènement le plus médiatisé au monde après les Jeux olympiques. Parmi eux, les critiques de films représentent un contingent minoritaire mais important en provenance des quatre coins du globe.
Après deux ans d’absence à cause des restrictions sanitaires, Rafi Hossain, journaliste bangladais, savoure le moment. “C’est toujours bon d’être à Cannes. Je vais à beaucoup de festivals, mais Cannes reste le meilleur. C’est vraiment mon genre de films. Si je devais donner une note, elle serait de 99 sur 100” lance-t-il, l’air enjoué.
Cet habitué de la Croisette est critique de cinéma pour le quotidien bangladais en langue anglaise The Daily Star. “Il n’y a aucun film du Bangladesh cette année, mais nous avons eu notre toute première sélection l’année dernière. Cette semaine, j’étais très heureux de voir le premier film pakistanais projeté ici” souligne-t-il, saluant “un nouvel intérêt pour l’Asie du Sud-Est » de la part du Festival.
“Je trouve que le niveau global des films est un peu plus faible que d’habitude” regrette pour sa part la journaliste japonaise Yuma Matsukawa, présente à Cannes pour la 17e fois. “Par contre les films du Moyen-Orient étaient très bons. On sent que les choses changent, il y a plus de films venant de parties du monde longtemps sous-représentées comme l’Afrique du Nord” ajoute-t-elle.
Pour la chroniqueuse du média The Saitama Shinbu, l’éclectisme de Cannes va de pair avec la volonté d’engagement du Festival, particulièrement visible cette année aux côtés de l’Ukraine. “Comme disait le président Zelensky, le cinéma doit être du côté de la liberté, et Cannes a choisi son camp” salue-t-elle.
Quel palmarès en 2022 ?
Pour ce qui est du palmarès de cette 75e édition, Yuma Matsukawa mise sur “Triangle of Sadness” du réalisateur suédois Ruben Östlund. “Il se moque du mauvais goût de manière très drôle et ironique” souligne la journaliste. Cette satire politique, qui suit un couple de mannequins et influenceurs lors d’une croisière de luxe aux multiples rebondissements, a divisé la Croisette, certains critiques lui reprochant un manque de profondeur.
https://youtu.be/hOUBXcTz66w
Autre coup de cœur de la journaliste, “Tori et Lokita”, des frères Dardenne, “un beau film engagé” sur la question migratoire, vante-t-elle. Rafi Hossain, le journaliste bangladais, cite, lui aussi, ces deux films, auxquels il ajoute “Boy from Heaven”, le thriller politico-religieux du suédois Tarik Saleh, qui explore les luttes de pouvoir au sein de la plus grande université islamique d’Égypte.
Un film “conventionnel” dans la forme mais ancré “dans un monde que personne n’avait jusqu’ici osé explorer à l’écran”, rapporte, pour sa part, Variety, journal de référence en matière de cinéma.
De son côté, le critique italien Aldo Spiniello a particulièrement apprécié “Armageddon Time”, du réalisateur américain James Gray, auquel il a attribué la note maximum de cinq étoiles. “Je suis un grand fan de ce cinéaste, il parvient toujours à mettre en lumière un sujet important que les gens ne veulent pas regarder en face” analyse le journaliste.
“J’aime aussi beaucoup ‘Nostalgia’ de Mario Martone, que je connais personnellement, ainsi que le nouveau David Cronenberg, ‘Crimes of the Future’. Mais pour la palme, étant donné que le jury est dirigé par Vincent Lindon, je pencherais plutôt pour un film politique comme celui de Christian Mungiu” conclut-il.
Intitulé “R.M.N.”, le nouveau long métrage du réalisateur roumain, vainqueur de la Palme d’or avec « 4 mois, 3 semaines, 12 jours » en 2007, expose les ravages de la xénophobie dans un petit village de Transylvanie, bouleversé par l’arrivée de travailleurs étrangers.
https://youtu.be/7h_Y9dcKgEo
“Dans l’apparente neutralité des plans, agit l’ombre d’un hors-champ menaçant, de quelque chose qui fait soudain irruption et bouleverse l’équilibre” analyse Aldo Spiniello dans sa critique, louant la complexité du film.
Pour savoir lequel des 21 films en compétition se verra attribuer la précieuse Palme d’or, les amateurs de cinéma devront encore patienter quelques heures. Réponse samedi 28 mai, à partir de 20 h 30, avec l’annonce du palmarès lors de la cérémonie de clôture du 75e Festival de Cannes.
france24