Soirée chaotique au Stade de France : un raté qui interroge à deux ans des JO de Paris

A fan stands on the fence in front of the Stade de France prior the Champions League final soccer match between Liverpool and Real Madrid, in Saint Denis near Paris, Saturday, May 28, 2022. Police have deployed tear gas on supporters waiting in long lines to get into the Stade de France for the Champions League final between Liverpool and Real Madrid that was delayed by 37 minutes while security struggled to cope with the vast crowd and fans climbing over fences. (AP Photo/Christophe Ena)

La finale de la Ligue des champions, grand-messe du football européen, a été ternie par les scènes de chaos dues à des problèmes de sécurité samedi lors de la rencontre entre le Real Madrid et Liverpool à Paris. Éclipsant presque la victoire des Madrilènes, les images des heurts ont fait le tour de la planète, suscitant de fortes critiques, à deux ans des Jeux olympiques de Paris, en 2024.

Supporteurs pourchassés ou perchés sur les grilles, recours au gaz lacrymogène… Spectateurs et commentateurs ont été choqués par les heurts entre supporteurs et forces de l’ordre en marge de la finale de la Ligue des Champions, remportée par le Real Madrid face à Liverpool, samedi 28 mai, au stade de France, près de Paris.

Au moins 105 personnes ont été interpellées et une vingtaine placée en garde à vue, selon les autorités, notamment pour des violences et des vols après la rencontre. « Pas de dégradation », a ajouté la préfecture.

Fait rarissime dans le monde du football, le match prévu à 21 heures a commencé avec trente-six minutes de retard en raison des incidents aux abords du stade. De nombreux supporteurs avaient tenté d’escalader les grilles de l’enceinte pour tenter de forcer l’entrée. De brèves échauffourées ont alors opposé les forces de l’ordre qui repoussaient ces intrus, parfois en faisant usage de gaz lacrymogènes.

Le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a décidé de saisir la justice pour une « fraude massive aux faux billets » samedi, pour l’accès à la finale de la Ligue des Champions, estimant que cela aurait « pu avoir des conséquences très graves pour la sécurité des spectateurs ». Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin a lui, dans un tweet, pointé du doigt l’attitude « des milliers de ‘supporteurs’ britanniques sans billet ou avec des faux billets qui ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers ».

Les autorités prennent cependant les choses au sérieux : le ministère des Sports et des Jeux olympiques a annoncé dimanche la tenue d’une réunion lundi matin avec l’organisateur de la finale, la police et les autorités locales afin de « cerner les dysfonctionnements » et les problèmes d’accès de supporteurs au stade.

Des images de Reuters TV, ainsi que des vidéos circulant sur les réseaux sociaux, ont montré des policiers anti-émeutes pourchassant des supporteurs à l’extérieur du stade tandis que d’autres étaient escortés par les forces de l’ordre.

Sur d’autres images, des supporteurs avec des billets se plaignent d’avoir attendu pendant plus de quatre heures sans succès, d’avoir été attaqués ou arnaqués par des vendeurs à la sauvette.

« Aucun incident » dans les « fan zones »
Parmi les fans de football désabusés, la championne olympique 2016 de boxe Estelle Mossely, qui s’est vu refuser l’accès malgré un billet authentique : « C’est un scandale ce qu’il se passe au Stade de France, [je suis] bloquée depuis plus d’une heure, gazée, bousculée », s’est-elle agacée sur Twitter. Elle a finalement pu entrer, quelques minutes avant la fin de la première mi-temps.

Loin du Stade de France, la soirée dans les deux « fan zones » distinctes – l’une pour les supporteurs du Real Madrid à Saint-Denis et l’autre pour ceux de Liverpool dans l’est de Paris – s’est déroulée sans « aucun incident à signaler », selon la préfecture. Ces périmètres, avec écrans géants, boissons et animations, avaient été organisés justement pour les fans non munis de billet, dont plus de 30 000 supporteurs anglais des « Reds » et 6 000 fans espagnols.

Au total, 238 personnes ont été prises en charge par les différents services de secours à un moment de la journée, pour des « urgences relatives », allant de l’état d’ébriété ou de petits accidents, y compris des intoxications au gaz lacrymogène, a indiqué à l’AFP un porte-parole des pompiers de Paris.

Des incidents « propres au football »
Le journaliste sport d’Associated Press Steve Douglas a accusé la sécurité du Stade de France de l’avoir forcé à supprimer des images des incidents entre policiers et spectateurs. Selon son collègue Rob Harris, le personnel de l’UEFA a dû intervenir pour empêcher ces exigences.

Ce genre d’incidents « est propre au football », opine Sylvère-Henry Cissé, journaliste et consultant en sport international, sur l’antenne de France 24. « Car la finale du championnat d’Europe de rugby avait lieu en même temps à Marseille, et elle s’est très bien passée, avec de milliers d’Irlandais présents. Il y a un problème avec le football et avec le football anglais », rappelant la finale de l’Euro 2016, également émaillée de heurts.

Mais selon l’expert, le grand problème vient aussi de « l’organisation de l’UEFA, puisque c’est l’organisateur et qu’il n’a pas pris la mesure pour assurer la sécurité. Il y a eu notamment des problèmes dans le pré-filtrage, qui doivent parfois être au nombre de cinq. Là, il n’y en avait pas, d’où les incidents. Mais il y a également la responsabilité de l’État qui aurait dû se coordonner avec l’UEFA ».

Plus de 6 800 policiers, gendarmes, pompiers et de très nombreux agents de sécurité ont été mobilisés pour le match de samedi à Paris. Ce dispositif sécuritaire devait servir de test pour la Coupe du monde de rugby, en 2023, ainsi que pour les Jeux olympiques de Paris, en 2024. Il a été d’autant plus mis à mal qu’une grève des transports a modifié les trajets d’arrivée du public sur le site.

« La question de la capacité de la France à organiser des événements de cette taille-là »

Des incidents de mauvais augure, selon Ronan Evain. Pour le directeur exécutif du réseau Football supporteurs Europe, ce raté « pose la question de la capacité de la France à organiser des événements de cette taille-là » : « On continue de reproduire les mêmes schémas d’organisation qui ont déjà échoué dans le passé. Il y a un besoin très fort de moderniser l’approche de la sécurisation de ces rencontres », a t-il indiqué à l’AFP.

Au lendemain de ces couacs, les critiques sont allées bon train, jusque dans l’arène politique. En pleine campagne pour les législatives de la mi-juin, l’opposition, notamment Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, n’a pas manqué de déplorer le manque d’organisation. La majorité présidentielle  tient à « rappeler le contexte », selon Aurore Bergé. « Cette finale aurait dû se tenir en Russie [et la France l’a organisée] en à peine trois mois », a plaidé sur RMC la député LREM-Renaissance.

En effet, la rencontre devait initialement avoir lieu à Saint-Petersbourg, avant que son organisation ne soit retirée à la ville russe après l’invasion de l’Ukraine. Paris avait fait acte de candidature, arguant avoir l’infrastructure nécessaire. La capitale a dû gérer l’afflux notamment de 60 000 supporteurs de Liverpool, alors qu’un contingent de 20 000 billets a été dévolu aux supporteurs des « Reds », comme à ceux du Real.

Des supporteurs de Liverpool tentent de faire face au gaz lacrymogènes pour entrer au Stade de France pour la finale de la Ligue des Champions, à Saint-Denis, le 28 mai 2022.
Des supporteurs de Liverpool tentent de faire face au gaz lacrymogènes pour entrer au Stade de France pour la finale de la Ligue des Champions, à Saint-Denis

« Stade de Farce », « horde de barbares », « soirée du chaos »

Les médias européens ont eu des mots très durs. Comme le tabloïd britannique The Sun, qui titrait en français « Stade de Farce », et relayait le témoignage de Marvin Matip, frère du défenseur des Reds Joel Matip, qui a raconté avoir dû se réfugier dans un restaurant avec sa femme enceinte pour échapper aux gaz lacrymogènes dispersés dans leur direction.

Le Telegraph, autre tabloïd britannique, a publié de son côté le récit accablant de Jason Burt, chef de la rubrique football du journal. « J’étais devant la porte Y quand j’ai été pris dans les gaz lacrymogènes utilisés sans discernement par la police anti-émeute française au Stade de France. Je parlais à des supporteurs qui attendaient tranquillement, certains depuis trois heures, quand ils ont atteint mon visage, me piquant les yeux, mes lèvres et ma langue. J’ai vu qu’on en dispersait. Je n’arrivais pas à y croire […] c’était absolument honteux », raconte-t-il dans un billet.

Si la presse espagnole s’est surtout concentrée sur la victoire du Real Madrid, les incidents ont également leur place. Alfredo Relano, président d’honneur du quotidien sportif As et voix respectée du football espagnol, a dénoncé dans un éditorial le club de Liverpool et « ses hordes de barbares sans tickets d’entrée [qui] ont créé un scandale sans nom aux portes du stade, [et] qui aurait bien pu provoquer une catastrophe, même si tout est heureusement rentré dans l’ordre avec le retard du coup d’envoi. » « Ces faits ne peuvent pas rester impunis », ajoute-t-il.

Les médias allemands se sont également interrogés sur des défauts d’organisation de l’UEFA. « La soirée du chaos », écrit le tabloïd Bild.

« Une mauvaise soirée en conclusion d’une triste saison pour la France, où se sont multipliés dans les stades les problèmes de sécurité et d’ordre public », a asséné en Italie, le Corriere dello Sport, rappelant que la Ligue 1, elle aussi, avait connu son lot de débordements cette année.

Reuters

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