Pourquoi il est déjà trop tard pour recharger les nappes phréatiques ? Avec Simon Mittelberger, climatologue à Météo France

La pluie est tombée sur la France — ou une partie de la France au moins — il y a une semaine. Elle était annoncée. Très attendue, même. Avec l’espoir de faire reculer — même si c’est temporairement — la sécheresse qui a pris ses quartiers sur presque l’ensemble du territoire. Comment en sommes-nous arrivés à espérer que tombe la pluie ? Simon Mittelberger, climatologue spécialiste du suivi de la ressource en eau à Météo France, nous aide à comprendre.

L’été n’a pas encore commencé et déjà, la France — métropolitaine, en tout cas — manque d’eau. Les agriculteurs en souffrent. Notre production d’électricité aussi. Les premières mesures de restrictions d’eau ont été prises. La carte publiée ce mercredi 18 mai par le Comité d’anticipation et de suivi hydrologique (Cash) le confirme. La situation est appelée à perdurer. Sur l’ensemble du pays. Puisqu’aucun département n’est assuré d’échapper à la sécheresse dans les semaines qui viennent. Et pas moins de 22 départements sont même classés en risque « très probable » d’ici la fin de cet été 2022.

Restons toutefois mesurés dans l’interprétation de cette carte. « Elle donne des indications par rapport à la normale et aux situations habituellement rencontrées », précise le communiqué du Cash. « Cette année, on parle beaucoup de la sécheresse, aussi parce que le contraste avec les deux années écoulées est saisissant, avance Simon Mittelberger, climatologue spécialiste du suivi de la ressource en eau à Météo France. Et à l’origine de la situation actuelle, il y a d’abord un déficit de précipitation l’hiver dernier ».

Dans le sud-est, par exemple, certaines stations ont enregistré une sécheresse météorologique de plus de 40 jours au début de l’année. Une sécheresse météorologique ? C’est ainsi que les scientifiques qualifient un déficit de précipitations prolongé. Sur la période du 1er décembre 2021 au 14 février 2022, ce déficit a atteint les 80 %, du côté de Sète ou de Montpellier. « Mais c’est la France entière qui connait un début d’année particulièrement sec. Entre janvier et avril, nous avons constaté un déficit de précipitations de l’ordre de 20 % », nous apprend Simon Mittelberger. Ni plus ni moins que le 4e déficit le plus important depuis le début des enregistrements, à la fin des années 1950.

Mais un hiver sec ne suffit pas, à lui seul, à faire planer le risque sécheresse. « Le manque de pluie s’est poursuivi ce printemps. Et les fortes chaleurs que nous avons connues mi-mai n’ont fait qu’aggraver la situation. » Le record de la plus longue période de printemps plus chaude que la normale vient même de tomber. Il tenait depuis 2007. Les températures élevées s’étaient alors déjà maintenues pendant pas moins de 38 jours. Aujourd’hui, « à l’échelle de la France, les sols sont dans une situation que l’on rencontre habituellement plutôt début juillet ».

Les sols, les nappes phréatiques et les rivières
« Pour estimer le risque sécheresse — il est plutôt question ici de sécheresse dite « agricole », celle qui rend compte de l’état des sols, jusqu’à 1 à 2 mètres seulement de profondeur –, nous comptons sur les prévisions de précipitation et de températures. Les deux sont également importantes », nous explique le climatologue. Et ces prévisions ne sont pas rassurantes. Selon Météo France, pour les mois de mai, juin et juillet 2022 — une mise à jour sur juin, juillet et août est attendue prochainement –, un scénario à la fois « plus chaud et plus sec que la normale » est le plus probable, notamment sur la moitié sud du pays. « Mais ce qui joue un rôle majeur, c’est l’état initial. Or cette année, à la sortie de l’hiver, l’humidité des sols était déjà nettement inférieure à la normale. » Sur la région Paca, notamment, les sols sont extrêmement secs. « Une sécheresse comme on n’en observe qu’une tous les 25 ans environ », souligne Météo France.

Doit-on comprendre que le plus important, c’est qu’il pleuve suffisamment en hiver ? « Les précipitations hivernales — les pluies qui tombent entre septembre et mars — sont déterminantes pour recharger les nappes phréatiques », nous rappelle Simon Mittelberger. Et en la matière, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) le confirme. Le manque de pluie depuis septembre 2021 a fortement impacté l’état des nappes phréatiques qui s’est rapidement dégradé à partir du mois de février 2022. Cette année, la vidange des nappes a même commencé avec deux à trois mois d’avance. Résultat aujourd’hui, « la situation est particulièrement préoccupante, avec des niveaux bas à très bas localement ». Un peu plus encore lorsque l’on sait que certaines nappes alimentent et soutiennent les cours d’eau durant l’été.

Compte tenu des prévisions de Météo France, « la vidange devrait se poursuivre et les niveaux rester en baisse durant le printemps et l’été ». Même si des perturbations océaniques accompagnées de fortes précipitations pourraient recharger les nappes les plus réactives. Cela restera momentané. « À partir du printemps, les précipitations ne peuvent plus réellement recharger les nappes. La hausse des températures facilite l’évaporation et la reprise de la végétation limite l’infiltration des pluies dans les sols », nous explique le climatologue. On comprend mieux pourquoi il est pour ainsi dire impossible de rattraper un déficit hivernal.

D’autant que le début des campagnes d’irrigation n’arrange généralement pas les choses. « C’est là que les précipitations printanières et estivales ont un rôle majeur à jouer. Pour l’agriculture. Elles apportent de l’eau aux plantes et évitent ainsi l’irrigation. » Car irriguer, c’est puiser de l’eau dans les stocks disponibles. Les rivières ou les eaux souterraines. « Les sols, eux, sont plus réactifs. Un épisode pluvieux, même s’il est orageux, peut améliorer la situation. Ponctuellement en tout cas. »

Le réchauffement climatique, facilitateur de sécheresse ?
Tout ceci étant précisé, la question qui demeure est la suivante. Devons-nous cette sécheresse au réchauffement climatique ? « On ne peut pas attribuer ainsi un événement en particulier au changement climatique, met en garde Simon Mittelberger. Ce que l’on peut dire, à partir de relevés passés et de projections sur l’avenir, c’est que, depuis les années 1960, les sols s’assèchent de plus en plus. Avec un assèchement encore plus marqué en été ». En cause, davantage à la hausse des températures — car plus il fait chaud, plus les plantes prélèvent de l’eau dans les sols –, qu’une baisse des précipitations. « À ce niveau-là, on observe très peu de changements dans la moyenne annuelle. Mais tout de même une légère hausse des précipitations en hiver — l’incertitude est ici importante, car cela dépendra de l’évolution des tempêtes sur l’Europe — et une baisse en été. » Selon les experts, il est ainsi possible que le remplissage des stocks d’eau des hivers à venir ne suffise pas à répondre aux besoins croissants dus à des étés de plus en plus chauds et secs.

Et Météo France confirme plus largement que « la fréquence des sécheresses augmente depuis le début des années 2000 ». Avec des épisodes « plus intenses et plus longs ». Ainsi qu’une « proportion de territoire frappé chaque année passant de 5 % dans les années 1960 à 10 % plus récemment ». Les prévisions restent toutefois difficiles à faire. Elles ne dépendent pas seulement des apports en eau. « L’impact des sécheresses dépendra beaucoup des usages et de l’évolution de certaines pratiques », souligne le chercheur. De certaines pratiques agricoles particulièrement gourmandes en eau. Mais de cela, nous reparlerons dans un prochain sujet.

futura

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