Avons-nous indirectement cédé face à Poutine? Pourquoi notre pays reste encore épargné par le boycott russe

Les Pays-Bas ont refusé de payer la Russie en roubles pour leurs livraisons de gaz. Résultat: Poutine a mis ses menaces à exécution et leur a fermé le robinet de gaz. Mais comment se fait-il que notre pays échappe toujours à la sanction? Avons-nous cédé au chantage du président russe?

Le président Poutine avait annoncé en mars que les pays “ennemis” devraient dorénavant payer la Russie en roubles afin de continuer à compter sur l’approvisionnement en gaz russe. Une manière pour le stratège russe de booster sa devise. Suite aux sanctions européennes, le cours du rouble s’était évidemment effondré en mars, mais avait repris en force dès avril. Une reprise notamment due au chantage au gaz de Poutine, qui s’est révélé efficace vu que plusieurs pays et entreprises ont effectivement payé leurs factures en roubles de peur de se retrouver à court de gaz.
Boycott
Vu que les Pays-Bas se sont opposés à ce bras de fer malsain, Moscou leur a coupé les vannes, ce qu’elle avait déjà fait un peu plus tôt en direction de la Finlande, de la Bulgarie et de la Pologne. Le Danemark devrait subir le même sort sous peu. Et la Belgique dans tout ça? Elle reste, pour l’instant, curieusement épargnée par la mesure. Est-ce parce que nous avons en réalité payé la Russie en roubles? En quelque sorte.

C’est ce que Thijs Van de Graaf, professeur en politique internationale à l’université de Gand, expliquait ce mardi dans Het Laatste Nieuws. “Les entreprises publiques belges n’importent pas directement leur gaz (comme c’est le cas aux Pays-Bas, par exemple), mais la Belgique paie en fait Gazprom via l’italienne Eni ou la française Engie. Ces dernières paient à leur tour la Russie, en roubles”, expose-t-il. En deux mots, cela signifie que notre pays, même s’il le fait indirectement, cède bel et bien au chantage de Poutine.

Pas voix au chapitre?
“C’est plus nuancé que ça”, balaie de son côté la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen). “Le gaz qui arrive en Belgique est acheté par des entreprises privées. Ce n’est pas comme chez nos voisins du nord, où l’État a des parts dans les compagnies de gaz: le gouvernement belge ne scelle directement aucun contrat gazier avec des pays tiers. Le gouvernement n’a donc pas directement le droit d’interférer dans ce que font les entreprises qui lui livrent du gaz russe”, précise-t-elle… tout en ajoutant que ces entreprises restent tenues de respecter les sanctions européennes.

Or on sait qu’au moins un des fournisseurs en gaz de la Belgique ne joue pas le jeu des sanctions. Eni a déjà ouvert deux comptes dans une banque privée liée à Gazprom pour lui payer son dû. Et une partie du gaz acheté via ce biais est ensuite acheminée vers la Belgique. Engie, qui se charge d’acheter le gaz pour la France et puis la Belgique notamment, jure payer la Russie en euros. On se demande cependant comment Gazprom aurait pu faire changer d’avis Poutine sur ce point, ou du moins le pousser à faire une exception. Mi-mai, alors que la polémique enflait, l’entreprise avait déclaré laconiquement avoir trouvé une “solution” “en adéquation” avec les sanctions européennes. Mais Engie avait aussi refusé de répondre à la question, quand on lui avait demandé si ladite solution était d’ouvrir un compte chez Gazprom.

Fermer les yeux de la sorte sur les méthodes de nos fournisseurs n’est-il pas hypocrite? La Belgique ne pourrait-elle pas menacer de s’approvisionner autrement si les compagnies de gaz continuent de contourner habilement les règles? Notre ministre de l’Énergie n’envisage pourtant pas de mettre Eni et Engie sur la sellette. “Pour notre pays, ce serait en effet facile d’interrompre sur le champ les importations de gaz russe. Seulement 6% de notre approvisionnement dépend de Moscou. Mais cela reviendrait aussi à mettre d’autres pays membres de l’UE dans l’embarras, car ils sont eux fort dépendants de la Russie. C’est pourquoi la Belgique est favorable à une approche coordonnée pour toute l’UE”, explique Tinne Van der Straeten. La Belgique, solidaire ou maître dans l’art de botter en touche?

7sur7

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