Trois mois après l’invasion russe de l’Ukraine, le blé du pays est en train de devenir une arme de chantage pour Moscou. On vous explique comment la céréale ukrainienne impacte l’alimentation des pays à travers le monde.

Si le gaz et le pétrole russes sont au cœur des inquiétudes en Europe, le blé ukrainien est en train de menacer la sécurité alimentaire mondiale. Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février dernier, les exportations de blé ukrainien sont quasiment à zéro en raison du blocus des ports du pays. Une réalité qui est une vraie menace pour les régions dépendantes, comme le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, mais aussi pour des pays comme la France, qui va être confrontée à une hausse des prix de différents produits alimentaires. On vous explique pourquoi.

Peu d’exportateurs de blé dans le monde

Le sol ukrainien, qui a subi les agressions ces derniers mois, fait partie des terres les plus cultivées au monde. Selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA), en 2019, presque 60 % des terres ukrainiennes sont utilisées pour les cultures. À titre de comparaison, il s’agit d’un taux bien supérieur à celui de la France (35 %) ou encore à celui des États-Unis (18 %).

Pour ce qui est du blé, la céréale au centre des préoccupations, l’Ukraine en a cultivé un peu plus de 28 millions de tonnes en 2019, soit une part de 1 % sur les trois milliards de tonnes de blé cultivé dans le monde entier au cours de la même année.

Pourtant, environ la moitié de ces 28 millions de tonnes de blé ukrainien ont été exportées afin de nourrir d’autres coins du monde. Soit un taux de 8 % de toutes les exportations mondiales de blé en 2019.

« Très peu de pays sont capables de produire plus de blé que ce qu’ils mangent. En revanche, il y a énormément de pays qui ont besoin de céréales et qui n’arrivent pas à en produire. Les plus gros producteurs de blé du monde, ce sont la Chine et l’Inde, mais elles n’exportent pas car elles ont besoin de nourrir leur propre population », explique Bruno Parmentier, ingénieur et économiste, ancien directeur de l’École d’agronomie d’Angers.

« Quant à l’Ukraine, c’est seulement 40 millions d’habitants avec une superficie d’une fois et demie la France métropolitaine, avec une terre qui est parmi les meilleures terres du monde. Donc là, la possibilité de faire de l’agriculture en Ukraine est très forte à tel point que son drapeau, c’est quand même un champ de blé jaune sous un ciel bleu. »

Si le poids du blé ukrainien n’est pas négligeable dans les exportations mondiales, l’Ukraine occupe une place encore plus importante pour l’huile de tournesol et le maïs : 40 % des exportations d’huile de tournesol dans le monde sont ukrainiennes, un taux qui s’élève à 10 % pour le maïs.

Voici la part de l’Ukraine et de la Russie dans les exportations de différents produits alimentaires :

« Selon les estimations satellites, on aura 30 % de moins de récoltes en Ukraine cette année, entre les champs qui ne sont pas semés parce qu’on fait la guerre dans l’est de l’Ukraine et les champs qui sont semés mais qui n’ont pas beaucoup d’engrais », éclaire l’économiste Bruno Parmentier.

Une hausse du prix du blé aux multiples répercussions en France

Alors quel impact sur l’assiette des Français ? En France, pays qui est aussi l’un des plus gros exportateurs de blé au monde, un manque de cette céréale n’est pas à craindre.

« La France est un très gros pays excédentaire. Elle produit trois fois ce qu’elle mange en blé. Même si cette année, on avait une mauvaise récolte liée surtout à la sécheresse, les Français n’ont pas besoin de s’inquiéter. Évidemment qu’il y aura du pain dans les boulangeries », rassure l’économiste.

En effet, selon les données de l’ONUAA, la France a importé moins de 2 500 tonnes de blé ukrainien en 2019. Un chiffre qui ne représente que 0,01 % dans l’offre intérieure de la France.

« Ce qui va se passer en France, dans le contexte global du marché, c’est une légère augmentation du prix du pain et celle plus importante pour les nouilles, en raison des différents poids du prix du blé dans les deux produits », décrypte Bruno Parmentier.

Mais le sujet ne s’arrêtera malheureusement pas là pour les Français. « Ensuite, c’est l’élevage des animaux, comme les poulets, les cochons, etc., qui va être mis en difficulté. Eux, ils mangent exactement comme nous, ils mangent des céréales et des légumineuses. Par exemple, pour les cochons, 70 % du prix du cochon, c’est ce que le cochon a mangé. Quand la nourriture du cochon double de prix, ce sont 70 % des coûts qui doublent. Donc l’augmentation massive des prix du blé et du maïs va être une catastrophe pour ces éleveurs. »

Selon l’économiste, une tension sur les prix des volailles et des porcs est à attendre à partir de l’automne.

Moyen-Orient, Afrique du Nord… Les points chauds de la faim

Si les Français sont confrontés à une augmentation des prix à la consommation, la faim s’aggrave dans les pays du Sud. Comme le montre la carte ci-dessus, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont les territoires les plus dépendants du blé ukrainien ainsi que du blé russe.

Plus précisément, l’Égypte, la Libye, le Liban, le Yémen, la Turquie, la Tunisie et l’Arménie importent au moins la moitié de leur blé depuis l’Ukraine et la Russie.

Selon les estimations du Programme alimentaire mondial (PAM), agence des Nations unies qui intervient dans des situations d’urgence en matière d’assistance alimentaire, avec le conflit en Ukraine, 47 millions de personnes supplémentaires devraient connaître une phase aiguë de la faim dans plus de 80 pays à travers le monde.

Les inquiétudes sont aussi présentes pour les ressources financières des opérations du PAM. Dans le contexte global post-Covid et avec l’impact de la guerre en Ukraine, les prix des denrées alimentaires achetées par l’organisation onusienne pour ses opérations sont en moyenne 50 % plus élevés qu’ils ne l’étaient en 2019. Ce qui entraîne des coûts supplémentaires de 71 millions de dollars par mois par rapport à 2019 pour l’agence onusienne, souligne Marie Dasylva, l’attachée de presse du PAM.

« La crainte de l’organisation, c’est de devoir faire des choix qui vont desservir l’humanité entière. Maintenant, il est vrai que quand la situation se présente où nous n’avons pas suffisamment de ressources, précise Marie Dasylva, nous devons, comme dit le directeur exécutif du PAM, retirer de la nourriture à ceux qui ont faim pour la donner aux affamés. C’est-à-dire qu’on est obligé de choisir qui recevra une aide en fonction de la gravité de sa situation. C’est le pire des scénarios auquel le PAM fait face. »

ouestfrance

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