Ce mégaprojet revêt une importance stratégique pour l’Union européenne, qui tente de se libérer de sa dépendance au gaz russe.
Le projet de gazoduc géant qui doit relier le Maroc au Nigeria par la façade atlantique pour alimenter l’Europe en gaz verra-t-il finalement le jour ? Annoncé en grande pompe fin 2016, ce mégaprojet a franchi une étape importante en recevant mercredi 1er juin un premier feu vert d’Abuja, a annoncé le ministre du Pétrole du Nigeria. Sur le papier, ce gazoduc doit parcourir près de 4 000 km et traverser une dizaine de pays pour, à terme, être connecté au marché européen, selon ses promoteurs, qui y voient un modèle de « coopération sud-sud ».
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les réserves en gaz de l’Afrique attirent de plus en plus les regards, l’Union européenne cherchant notamment des alternatives à son approvisionnement en gaz par la Russie. Cependant, si le continent dispose de nombreuses réserves en gaz, le manque d’infrastructures reste un frein majeur.
Un projet en gestation depuis 2016
Il y a 4 ans, le roi du Maroc, Mohammed VI, et le président nigérian, Muhammadu Buhari, étaient tombés d’accord sur un mégaprojet de transport de gaz le long de la côte atlantique, sur plus de 3 000 km. Un accord entre les deux pays a été signé pour la première fois en 2016.
Le ministre nigérian du Pétrole, Timipre Sylva, a annoncé que le gouvernement fédéral avait donné « son accord pour que la compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC) conclue un accord avec la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour la construction » de ce gazoduc. Le ministre a précisé que ce projet était toujours « au stade de la conception technique initiale », qui devrait notamment déterminer son coût. « C’est à ce moment-là que nous parlerons financement », a-t-il précisé. Ce pipeline serait une extension d’un gazoduc qui achemine le gaz du sud du Nigeria au Bénin, au Ghana et au Togo depuis 2010.
Enjeux stratégiques forts
« Ce gazoduc doit passer par 15 pays ouest-africains jusqu’au Maroc, et du Maroc jusqu’à l’Espagne et l’Europe », a rappelé le ministre. L’acheminement du gaz nigérian à l’Afrique du Nord alimente depuis longtemps de nombreux intérêts, l’Algérie ayant notamment mené des discussions en 2002 pour un projet similaire de pipeline traversant la région du Sahel. Le Nigeria, membre de l’Opep, dispose d’énormes réserves en gaz, les premières en Afrique et les septièmes au niveau mondial.
Les enjeux sont immenses, à la fois économiques et géostratégiques. Plusieurs pays africains font face à des coupures régulières de courant, avoir accès au gazoduc leur permettrait de produire plus d’électricité à travers des centrales thermiques alimentées en gaz naturel. Et ce n’est pas le seul avantage économique puisqu’avec cette électricité ces pays gagneraient en productivité avec des industries qui fonctionneraient. Et le secteur agricole pourrait tirer son épingle du jeu car le gaz permet de faire des engrais essentiels et dont les coûts explosent avec la guerre en Ukraine.
Le projet, qui a été présenté comme propice à l’intégration économique en Afrique de l’Ouest, viendrait également s’ajouter au réseau de gazoducs existants qui approvisionnent l’Europe via la mer Méditerranée. Mais pas seulement, puisque la Chine, qui a massivement investi dans l’industrie pétrolière nigériane, entend désormais faire croiser ce pipeline avec son initiative de « La Ceinture et la Route ». La Russie n’est pas en reste, le pays ayant récemment démontré un intérêt croissant pour le futur gazoduc. Moscou y voit le moyen de contourner les sanctions imposées par l’Occident en détournant ses investissements vers l’Afrique.
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