Pour essayer de comprendre pourquoi la variole du singe se propage en ce moment hors d’Afrique, continent où elle est endémique dans plusieurs pays, remontons un peu le temps, juste après l’arrêt de la vaccination antivariolique où les populations en contact avec le virus de la variole du singe se sont retrouvées sans protection.
Le 8 mai 1980, à l’occasion de la 33e Assemblée mondiale de la santé, la variole est déclarée officiellement éteinte : « Tous les peuples du monde sont désormais libérés de la variole. » C’est le résultat d’une campagne de vaccination menée pendant 10 ans par l’OMS, durant laquelle un demi-milliard de doses antivarioliques ont été distribuées de par le monde. Ainsi disparaissait une maladie connue depuis l’Antiquité, mortelle dans 30 % des cas et responsable de 300 millions de morts durant le XXe siècle.
Si l’éradication de la variole est une victoire indiscutable, elle a deux conséquences négatives : les enfants qui naissent après l’arrêt de la campagne vaccinale ne sont pas protégés contre la maladie, faisant craindre une attaque bio-terroriste ; un problème rapidement réglé par les pays riches qui ont stocké des doses de vaccins au congélateur. La seconde conséquence concerne les pays d’Afrique où la variole du singe est endémique. Le vaccin antivariolique protégeait aussi les populations locales contre cet autre orthopoxvirus. Pour répondre aux craintes, l’OMS lance une surveillance de la variole du singe entre 1981 et 1986 à l’issue de laquelle il est conclu que la maladie ne représente pas un problème majeur de santé publique. Les personnes en contact avec la variole du singe sont donc laissées sans alternative pour se protéger du virus.
La variole du singe explose avec la diminution de l’immunité contre la variole
Une conclusion qui résonne étrangement avec la situation actuelle. En effet, une étude parue en 2010 et menée par les scientifiques de l’école de la Los Angeles School of Public Health conclut que les trente années suivant l’arrêt de la vaccination antivariolique, l’incidence de la variole du singe a augmenté d’un facteur 20 dans les régions surveillées en République démocratique du Congo, pays où le virus est le plus actif. Les données de suivis récoltées entre 2005 et 2007 par les scientifiques indiquent que la diminution de l’immunité collective contre la variole, les contacts plus fréquents avec les animaux réservoirs du virus et l’augmentation des contaminations inter-humaines sont à l’origine des cas. La plupart des infectés sont des jeunes garçons âgés de moins de 15 ans, nés après l’arrêt de la vaccination antivariolique. Les scientifiques notent dans leur article : « En se basant sur notre programme de surveillance, nous avons observé que le risque de contracter la variole du singe était inversement associé au vaccin antivariolique. Les personnes vaccinées ont 5,21 fois moins de risque d’attraper la variole du singe en comparaison avec les personnes non vaccinées. »
Une autre théorie, plus controversée, stipule que la disparition de la variole aurait laissé libre une niche écologique, un concept dont la définition fait débat selon les disciplines, offrant l’opportunité à la variole du singe de l’investir. Ce point de vue est soutenu par James O. Lloyd-Smith, un scientifique de l’université de Californie, et détaillé dans une publication parue en 2013 qu’il signe seul. Il écrit : « Par conséquent, l’éradication peut entraîner une augmentation quantitative de l’incidence d’une autre infection, mais si cela conduit à l’émergence en tant qu’agent pathogène endémique dépend de facteurs supplémentaires. » Aucune donnée scientifique n’a pour le moment validé formellement cette théorie.
Un lien avec la situation actuelle ?
Toujours est-il que l’arrêt de la vaccination antivariolique et la mondialisation qui s’est accentuée dans les années suivantes ont permis au virus de la variole du singe de prospérer et de sortir du continent africain dès 2003, via des chiens de prairies contaminés, et à plusieurs reprises en 2018 et en 2019 avant que n’émerge la situation que l’on connaît aujourd’hui. La variole du singe est l’orthopoxvirus le plus fréquent chez l’Homme. Les vaccins antivarioliques vont ressortir des congélateurs pour contraindre la propagation du virus de la variole du singe et immuniser les personnes infectées et leurs contacts. Désormais, 23 pays hors d’Afrique sont concernés par des transmissions inter-humaines du virus de la variole du singe. En République démocratique du Congo, le virus de la variole du singe est toujours présent et 56 personnes sont décédées de la maladie depuis le début de l’année ; aucun dans les pays occidentaux à ce jour.
futura