Le 10 février 2022, le président Emmanuel Macron annonçait un plan de relance pour le nucléaire. Mais les centrales les plus anciennes toujours en fonctionnement ont déjà dépassé les 40 ans prévus lors de leur conception. Comment s’assure-t-on qu’elles sont encore sûres ?
C’est aujourd’hui environ les trois quarts de l’électricité française qui sont produits grâce à l’énergie nucléaire. Alors que la Terre se réchauffe à petit feu, la transition énergétique prônée passe bien sûr par une décarbonation de l’énergie. Il faut donc éliminer les énergies fossiles : charbon, gaz et pétrole. Pour cela, la France mise depuis les années 1960 sur l’énergie atomique.
D’après la Société Française de l’Énergie Nucléaire (SFEN), l’énergie nucléaire est très peu émettrice de gaz à effet de serre (GES), avec un bilan carbone d’environ 6 g de CO2 équivalent par kilowattheure. Un bilan comparable à celui de l’énergie hydraulique ou de l’éolien. Mais elle n’en est pas moins une énergie non renouvelable : elle utilise des matières premières dont les ressources sont limitées. En effet, le combustible est composé d’uranium qui, même s’il est partiellement recyclé, demeure en quantité limitée sur Terre. D’après Orano, « les ressources connues en uranium représentent 100 ans de consommation mondiale et jusqu’à 250 ans si l’on inclut les ressources estimées. »
Des réacteurs vieillissants, de presque 40 ans
S’additionne aux limites du combustible, celle de la durée de vie des centrales. Conçues initialement pour une « durée de vie de 40 ans » d’après l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), elles sont améliorées au cours de leur vie, en fonction des « retours d’expérience et des exigences de sûreté qui évoluent ». Cette maintenance peut leur permettre de fonctionner plus longtemps que ce que leur conception initiale prévoyait.
En France, les centrales sont contrôlées régulièrement, « notamment par des inspections programmées ou inopinées de l’ASN, auxquelles les experts techniques de l’IRSN participent souvent, et lors des visites décennales, explique Olivier Dubois, directeur adjoint de l’expertise de sûreté à l’IRSN. Tous les dix ans, après expertise technique par l’IRSN, l’ASN (ndlr, Autorité de Sûreté Nucléaire) se prononce sur l’état de la centrale, et définit des exigences pour qu’elle puisse fonctionner dix ans de plus ».
Actuellement, ce sont les réacteurs de 900 MWe qui sont dans la ligne de mire : « Pour les réacteurs de 900 MWe, l’objectif est de s’assurer qu’ils peuvent aller jusqu’à 50 ans, comme le souhaite EDF. L’ASN a rendu ses exigences en 2021 pour que leur prolongation soit possible, l’objectif d’EDF est qu’ils aient presque tous achevé leur visite décennale d’ici 2027 », continue Olivier Dubois.
Lors de ces visites décennales, différents détecteurs et capteurs sont placés de part et d’autre du réacteur et des circuits qui l’entourent : par exemple, le contrôle de certaines fissures se fait avec des courants de Foucault. « Le courant va interagir avec le métal, et si une fissure est présente alors il sera moins conducteur : le signal reçu sera différent. » Les techniques de contrôles sont variées (ultrasons, radiographies…) et adaptées au composant à scruter et aux types de défauts recherchés.
Une adaptation constante par les retours d’expérience
S’ensuivent des exigences techniques recommandées par l’IRSN et imposées par l’ASN, dans le but de maintenir, voire d’améliorer, le niveau de sûreté des centrales dont la durée de vie est prolongée. « Beaucoup de modifications majeures ont déjà été effectuées, notamment afin de renforcer la résistance aux catastrophes naturelles suite à l’accident de Fukushima : des sources d’eau ultimes ont été mises en place, prévues pour tenir face à des inondations ou des séismes. Il s’agit soit de puits, allant chercher directement l’eau dans les nappes, soit de bâches souples, installées au sol. Des groupes électrogènes diesels d’ultime secours ont été installés. Des bâtiments sécurisés appelés centres locaux de crise sont en cours de construction, afin d’abriter les équipes locales d’intervention en cas d’accident nucléaire », explique le directeur adjoint de l’expertise de sûreté à l’IRSN, M.Dubois.
Mais, parfois, les modifications sont en fait des remplacements majeurs. Les générateurs de vapeur par exemple (souvent écrit ainsi « GV »), extraient la chaleur qui vient du cœur, et ont déjà été remplacés : ce type de chantier prend quelques mois, sachant qu’un GV mesure plus de 20 mètres de haut ! « Ils ne sont pas tellement soumis à l’irradiation mais ils ont d’autres fragilités : notamment les tubes des GV sont assez fins, et c’est à travers eux que passe la chaleur. Sur les réacteurs les plus anciens, presque tous les GV été remplacés, c’est une opération qu’EDF effectue une fois dans la vie d’un réacteur. »
Les accidents nucléaires façonnent la sûreté
Car si relativement peu de retours d’expérience étaient disponibles à l’époque de la construction des centrales sur ce type de réacteurs, les incidents et accidents nucléaires, graves ou non, ont changé la donne. Notamment l’accident de Three Mile Island (TMI) en 1979, durant lequel le combustible a fondu ! Il a déclenché une prise de conscience concernant les risques de fusion du cœur, et l’importance du facteur humain en plus des aspects techniques. Mais l’événement le plus marquant reste bien sûr Tchernobyl qui, contrairement à TMI, a conduit à des relâchements radioactifs majeurs dans l’environnement ! À la suite de Tchernobyl, « l’échelle Ines (ndlr : International Nuclear Event Scale) a été mise en place pour aider les populations à comprendre la gravité des incidents ou accidents nucléaires », explique M. Dubois.
Des événements, dont les conséquences se sont avérées mineures mais significatives au niveau de la sûreté, se sont aussi produits en France : « Durant la tempête de 1999, le site du Blayais a été inondé. Trois réacteurs étaient initialement en fonctionnement et un en arrêt après rechargement. Les systèmes pour le fonctionnement normal n’ont pas été impactés, mais certains systèmes de sauvegarde étaient indisponibles. Heureusement, il n’y a pas eu de conséquences graves, et l’incident a été classé 2 sur l’échelle d’Ines. Suite à ça, toutes les digues ont été rehaussées pour prendre en compte des tempêtes comme celle-ci », décrit Olivier Dubois.
La cuve, un élément non remplaçable
Mais, parmi tous les éléments contrôlés par l’exploitant EDF, sous la surveillance de l’ASN et de l’IRSN, la cuve est peut-être le plus scruté en détail : c’est elle qui abrite le combustible, et donc, toute la création de chaleur qui permet de faire tourner la centrale. Les fissions qui s’y déroulent causent une irradiation constante des parois intérieures de la cuve.
C’est pourquoi elle est conçue avec une précaution particulière, résultant d’exigences techniques bien plus élevées que pour la plupart des autres composants. Elle doit aussi résister aux conditions de températures imposées par le design du réacteur, c’est-à-dire quelques 300 degrés et 155 fois la pression atmosphérique !
La cuve doit, de plus, être fabriquée avec une homogénéité presque parfaite afin de mieux résister en cas de fissure. Il faut aussi limiter l’irradiation sur toutes les zones de la cuve. C’est un manque d’homogénéité qui a causé la discussion autour de la cuve de l’EPR de Flamanville : une anomalie a été détectée en 2014 à l’issue de contrôles au niveau du fond et du couvercle de cuve. Une concentration excessive en carbone (0,32 % au lieu de 0,22 %) a été constatée localement, diminuant la ténacité de la cuve, c’est-à-dire sa capacité à résister à la propagation d’une fissure. Finalement, l’ASN a conclu en 2017 sur la possibilité d’utiliser la cuve en l’état, et sur le besoin de remplacer assez rapidement le couvercle. Le réacteur de Flamanville devrait être mis en service courant 2023.
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