Côte d’Ivoire : Serge Beynaud, la force pas si tranquille

Chanteur, compositeur et producteur de musique, l’Ivoirien Serge Beynaud s’est imposé, au fil des années, comme une icône nationale du coupé-décalé.

Serge Beynaud n’est pas un frimeur. Vous ne l’entendrez presque jamais prononcer un mot plus haut que l’autre non plus. Avec son côté dandy assumé, sans entrer dans l’excès bling-bling, qui lui a valu le surnom de « mannequin des arrangeurs », il tranche avec le reste de la scène du coupé-décalé, où l’exubérance et les grosses cylindrées sont la norme. Est-ce sa précoce barbe grisonnante, à 34 ans, qui fait qu’on lui donne désormais du « le père » ou sa longue carrière – commencée, alors qu’il n’était pas encore majeur, en composant des musiques pour d’autres artistes – qui donne l’impression qu’il fait désormais partie des doyens ? Un peu des deux, probablement.

Son public l’a vu grandir, puis mûrir, au fil des années. Pourtant, derrière cette apparence de premier de la classe, presque timide, se cache un redoutable homme d’affaires, un artiste qui maîtrise sa communication et qui n’hésite pas à monter au créneau pour défendre son art lorsqu’il est critiqué.

Serge Beynaud, de son vrai nom Guy Serge Beynaud Gnolou, naît le 19 septembre 1987 à Yopougon, la plus grande commune du district d’Abidjan. Son père lui offre, dès son jeune âge, un jouet qui marquera ses premiers pas dans la musique : un piano. « J’ai commencé à apprendre quelques notes là-dessus, et mon père s’est rendu compte que je créais des mélodies. Il s’est dit que son fils avait quelque chose et m’a ensuite offert un piano semi-pro. Voilà comment je suis d’abord devenu pianiste, puis le reste a suivi. L’appétit est venu en mangeant », se souvient l’artiste.

Relation complexe et stimulante avec feu DJ Arafat
À l’adolescence, les soirées à Yopougon sont rythmées par le zouglou. Il compose ses premiers morceaux pour des artistes du genre. Puis, en 2002, arrive le coupé-décalé. Son bac en poche, il est encouragé, notamment par ses proches, à s’installer en tant que producteur. Il travaillera avec de nombreux noms de la scène ivoirienne : Molare, Bebi Philippe, Deordo Leekunfa, Dj Mix Ier et même Dj Arafat, né un an plus tôt que lui, à Yopougon également, et qui sera considéré par la suite comme son principal challenger. Leur relation complexe, entre rivalité et admiration mutuelle, a suscité une émulation dans le domaine du coupé-décalé avant le décès brutal de DJ Arafat, le 12 août 2019, à la suite d’un accident de moto.

Lui et moi avions le même trait de caractère : ne pas aimer perdre

« Arafat me stimulait. Lui et moi avions le même trait de caractère : celui de ne pas aimer perdre. On se comprenait. On s’est toujours dit, si lui est premier, je suis le deuxième, s’il est deuxième, je suis le premier. Personne ne devait s’intercaler entre nous. Cela faisait bien “mousser” le coupé-décalé, car il était, tout comme moi, quelqu’un de créatif », se souvient-il. Puis de regretter : « Avec Arafat, nous avions fait la paix, mais pas de façon officielle. Nous étions sur un projet de tournée, déjà bien ficelé, à travers le pays. » Quand on lui demande, aujourd’hui, qui est désormais son challenger sur la scène musicale, il répond « toujours personne », dans un éclat de rire. Puis d’ajouter : « Chacun est dans son délire. Dans le mien, je n’en ai pas encore trouvé. »

Pourtant, c’est un peu par hasard, en 2010, qu’il franchit le pas pour devenir lui-même chanteur. Il raconte : « Un jour, par curiosité, j’ai essayé de chanter sur une de mes compositions. Ç’a été un tube. À l’origine, ce n’était même pas pour faire carrière. C’était juste un kif qui s’est transformé en métier. » Ce « kif » donnera le titre Koumanlebe, considéré aujourd’hui comme l’un des classiques du coupé-décalé. Il y rend hommage aux stars du genre et y affirme : « Tu veux, tu ne veux pas : coupé-décalé a pris le pouvoir. »

Le coupé-décalé, genre musical incontournable
De fait, depuis une vingtaine d’années, le coupé-décalé s’est imposé comme un son incontournable de la musique ivoirienne, et Serge Beynaud en est l’un des artisans. Les différents genres s’influencent aussi mutuellement. « Ma musique a beaucoup évolué avec le temps, même si la base demeure le coupé-décalé. Elle devient plus électronique, là où par le passé elle était plus acoustique. Au fur et à mesure, avec l’avènement de la trap et l’intérêt du public pour le rap ou les musiques plus électroniques, cela joue aussi sur la conscience collective », analyse-t-il.

Je préfère chanter mal et gagner mon argent

Et à ses détracteurs, qui lui reprochent de ne pas savoir chanter ou de ne pas faire de chansons à textes, Serge Beynaud estime n’avoir rien à prouver. « En définitive, c’est un métier qui doit pouvoir nourrir son homme. S’il faut chanter bien et être pauvre, je préfère chanter mal et gagner mon argent », dit-il.

« Je fais ce que les gens aiment. Sinon, lorsque vous écoutez mes albums, vous verrez qu’il y a des morceaux dans lesquels je chante avec une voix de tête, etc. Mais ce n’est pas ça qui marche. Ça ne les intéresse pas. J’ai compris ce que les gens aimaient et je le leur donne. De toute façon, on m’identifie comme un ambianceur, donc j’ambiance », argumente-t-il.

La structuration de la filière musicale, une étape très attendue
Pour « l’ambassadeur du coupé-décalé », récompensé notamment en 2018 par le Prix international des musiques urbaines et du coupé-décalé (Primud) en tant que meilleur artiste du genre, « l’industrie musicale a évolué depuis [s]es débuts et tend à se professionnaliser », mais il reconnaît qu’il reste encore du chemin à parcourir pour qu’elle « se structure ». Il évoque notamment l’importance de la création d’un statut d’intermittent. C’est l’une des préoccupations soumises au Premier ministre, Patrik Achi, le 27 septembre 2021, lors de sa rencontre avec des artistes, des créateurs et des entrepreneurs de la filière musicale, dont Serge Beynaud et Salif Traoré (A’Salfo, du groupe Magic System).

En présence d’Arlette Badou N’Guessan Kouamé, ex-ministre de la Culture et de l’Industrie des arts du spectacle, et d’Amadou Coulibaly, alors à la tête du ministère de la Communication, des Médias et de la Francophonie, Patrick Achi leur a promis un nouveau cadre réglementaire. Un engagement à « faire de la culture et des industries créatives un acteur stratégique sur le plan économique » réaffirmé le 14 mai sur la scène du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua).

L’artiste regrette par ailleurs le fait que les plateformes de streaming soient difficilement accessibles aux publics ouest-africains, freinés notamment selon lui par la nécessité de posséder une carte bancaire. De plus, malgré les nombres de vues sur YouTube, les artistes ivoiriens ne sont pas rémunérés. Certains, dont Serge Beynaud, se font représenter par des sociétés européennes afin de réclamer leurs droits. « Pourquoi ? Peut-être parce que les marques ne voient pas encore ces utilisateurs comme des acheteurs potentiels », tente-t-il d’expliquer.

Investissements, partenariats, contrats publicitaires : ses affaires prospèrent
Depuis 2016, Serge Beynaud s’est installé à Grand-Bassam, cité balnéaire à quelques kilomètres d’Abidjan où se trouvent également les locaux de Star Factory Music, sa société de production. Un rêve d’enfant qui se réalise. « Quand j’étais petit, un jour nous étions à la plage avec ma mère. Il y avait un quartier en construction. Je lui ai dit que, lorsque je serais grand, ce serait là où j’habiterais. Aujourd’hui j’y vis », confie-t-il.

Loin de la cohue d’Abidjan, Serge Beynaud s’est bâti une réputation de patron en investissant également dans l’immobilier et en s’engageant pour les jeunes à travers sa fondation. Ses partenariats avec les entreprises pour les concerts virtuels pendant la crise liée au Covid-19, ainsi que les contrats publicitaires, ont permis de maintenir ses affaires.

Grâce à internet, les artistes peuvent s’adresser directement à leur public

L’artiste se consacre à la production de jeunes talents et prépare son nouvel album, qui devrait sortir « bientôt ». Depuis sa sortie, il y a un mois, le premier single, C’est dosé, totalise plus de 5 millions de vues sur YouTube et a fait l’objet de nombreux challenges sur les réseaux sociaux, comme TikTok. « Il est vrai que la tendance est d’aller de single en single, mais, pour moi, il est important de produire encore des albums. Ne serait-ce que pour la forme. Au moins, lorsqu’on tape mon nom dans un moteur de recherche et qu’on se rend sur Wikipédia, on voit s’afficher le nombre d’albums. Ça fait plus sérieux que de voir 200 singles alignés », ironise-t-il. Des collaborations avec d’autres artistes du continent sont prévues, notamment avec le groupe guinéen Banlieuz’Art.

En attendant la sortie de l’album et la reprogrammation de son concert parisien, initialement prévu en 2020 et annulé à cause du Covid, Serge Beynaud a commencé à « teaser » auprès de sa communauté sur Facebook son deuxième single, Statut visé.

« Grâce à internet, les artistes peuvent s’adresser directement à leur public. Il n’y a pas besoin de passer par un média pour se faire voir, pour communiquer. Cela a apporté une certaine facilité et de la fraîcheur », dit celui qui totalise 3,7 millions d’abonnés à sa page Facebook, sur laquelle il poste régulièrement des contenus. Il estime qu’ »auparavant, un artiste, c’était quelqu’un de bling-bling. Il fallait être différent du commun des mortels, faire rêver. Mais, aujourd’hui, les réseaux sociaux ont brisé ce mythe, et je suis très à l’aise, car je me sens comme à la maison. Je leur montre mon vrai moi au quotidien. Mes fans et moi-même avons une certaine complicité, et nous nous sommes rapprochés grâce aux réseaux sociaux. »

jeuneafrique

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