En visite officielle en RDC, le roi a non seulement réitéré ses « regrets » pour les blessures du passé, mais il a aussi condamné les agissements de ses aïeux. Une prise de position audacieuse, à l’heure où les procès en racialisme et indigénisme faits aux intellectuels se multiplient.
Le président de la RDC, Felix Tshisekedi, et le roi Philippe de Belgique dévoilent un masque kakungu, rendu au Congo, lors d’une visite au Musée national, à Kinshasa, mercredi 8 juin 2022.
« Le régime colonial comme tel était basé sur l’exploitation et la domination. Ce régime était celui d’une relation inégale, en soi injustifiable, marquée par le paternalisme, les discriminations et le racisme. » C’est en ces termes que le roi Philippe de Belgique s’est exprimé au Musée national de Kinshasa, au deuxième jour de sa visite officielle en République démocratique du Congo. Ce qui frappe le plus, ce n’est pas tant les profonds regrets, qu’il réitère pour la seconde fois, que la définition du régime de son arrière-arrière-grand-oncle, le roi Léopold II, et la colonisation belge qui lui a succédé.
Repentance, autoflagellation et autre génuflexion
En condamnant le régime colonial, le roi fait œuvre de salubrité publique, tant pour les populations jadis écrasées sous le joug colonial que pour la société belge dans son ensemble. Il faut se placer dans le contexte européen d’aujourd’hui, où ce débat est pris en otage par la droite et l’extrême droite, pour en comprendre la portée. Désormais, un champ lexical religieux articulé par les milieux conservateurs et nationalistes vient systématiquement excommunier tout dirigeant qui ose poser un regard critique sur le passé colonial de son pays. On parle alors de repentance, d’autoflagellation, de génuflexion ou de pénitence.
La grande supercherie de ces étranglements d’indignation est de confondre la société européenne avec les colonialistes, comme si condamner la colonisation revenait à condamner les populations européennes dans leur ensemble. On se souvient du scandale provoqué par les propos du candidat Emmanuel Macron après qu’il a qualifié la colonisation française en Algérie de « crime contre l’humanité ». Les mêmes accusations de « repentance perpétuelle » ont accompagné son discours à Kigali, quand il a reconnu, cette fois-ci en tant que président de la République, la responsabilité de l’État français dans le génocide des Tutsi en 1994.
L’Allemagne n’est pas en reste. La demande de pardon et la reconnaissance du génocide des Herero et des Nama par le pouvoir colonial du ministre des Affaires étrangères, Heiko Mass, a suscité de vives réactions jusqu’au sein même du gouvernement. Il existe un terrorisme intellectuel qui s’est aujourd’hui enrichi de nouveaux anathèmes – wokisme, cancel culture, indigénisme, racialisme, islamo-gauchisme -, dont le but est d’intimider et d’empêcher les hommes politiques, les chercheurs, les historiens, les artistes et la société civile dans son ensemble d’aborder ces sujets. Ainsi, en France, la nomination au ministère de l’Éducation nationale de Pap Ndiaye provoqua une levée de boucliers, certains accusant l’historien d’être indigéniste, anti-flic et contre l’identité française. Son tort ? Avoir travaillé, en tant que chercheur, sur le thème du racisme structurel encore présent dans certaines couches de la société française.
Sortir de l’omerta, enseigner l’histoire du colonialisme
Dans la performance Les Restes suprêmes, quand le masque punu remonte le cours de son histoire, la première halte le mène au cabinet de curiosités du Professeur Pi, personnage de fiction que j’ai créé en m’inspirant de plusieurs naturalistes du XIXe siècle, parmi lesquels Georges Cuvier. Dans une expérience des limites, on voit le Professeur Pi, incarné avec brio par l’acteur belge François Sauveur, mettre en place toutes les taxinomies de genre et de races de l’ère coloniale avec lesquelles la société actuelle se débat toujours.
Certes, le colonialisme a été une entreprise de terreur et de prédation. Cependant, sa charge la plus violente demeure sa matrice idéologique, qui pèse toujours sur le présent et l’avenir. Aujourd’hui, on exige des jeunes générations maintenues dans l’amnésie par des romans nationaux, remplis d’angles morts, de s’émanciper – comme ça, d’un coup de baguette magique – des catégories héritées de l’ère coloniale sans avoir à remonter le cours du temps, pour voir, à la source, ce qui sous-tend une telle vision du monde.
C’est là tout l’enjeu d’étudier cette histoire, de la mettre dans l’espace public afin que la société entame sa résilience. Si la Belgique veut se donner les moyens de lever l’hypothèque du passé sur le présent, il faut briser l’omerta et commencer à enseigner cette période de l’histoire dans les manuels scolaires. Les non-dits créent des impasses qui maintiennent les esprits dans un quadrillage mental. Il n’y a pas de meilleure manière de préparer l’avenir que de le débarrasser des fardeaux qui l’encombrent.
Gestes concrets
Nous exhortons le gouvernement belge à emboîter le pas au roi afin d’aller plus loin, notamment en suivant les recommandations de la Commission spéciale du Parlement belge sur le passé colonial qui ouvre sur les réparations. En général, les sociétés africaines sont moins soucieuses de la formulation d’excuses officielles que de gestes concrets.
Que le gouvernement belge ne se contente pas de restituer les restes de Patrice Lumumba, mais rapatrie tous les restes humains emmenés en Belgique à des fins d’expérimentations raciales, pour qu’ils soient inhumés dans la dignité. Qu’avec la restitution du masque kakungu emporté dans les bagages du roi, le musée de Tervuren aille jusqu’au bout et rende la totalité des objets du patrimoine spoliés sous la colonisation. On ne saurait dans le même mouvement condamner une entreprise de prédation et en garder les rapines.
jeuneafrique